Employeurs donneurs d’ordre : responsables pénalement des salariés de vos sous-traitants au titre de l’obligation de sécurité

Document unique sous-traitantExtrait de la lettre FOCUS de mars 2016 (SEPR / Pôle Prévention – 3, rue de Liège – 75441 Paris cedex 09)

Rappel – Tout employeur est tenu envers ses salariés à une obligation de résultat en matière de santé et de sécurité. Il est par conséquent toujours responsable civilement des accidents du travail ou des maladies professionnelles de ses salariés. L’employeur assume la réparation forfaitaire des dépenses réalisées par la Sécurité sociale, par le biais des cotisations sociales (le taux d’accident du travail calculé par branches, par unités de travail et pour les entreprises de plus de 20 salariés, par entreprise pour partie). En plus de cette réparation civile forfaitaire, l’employeur peut aussi être contraint d’assumer la prise en charge de tous les préjudices subis par la victime. C’est le cas lorsque l’employeur commet une faute inexcusable. La faute inexcusable est caractérisée par la situation où l’employeur « avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié, et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver ». Illustration : l’absence d’un DUER à jour et l’absence de mise en place d’actions de prévention alors qu’il existe des dangers, constituent une faute inexcusable.

Mais l’employeur peut également être responsable pénalement lorsqu’il ne respecte pas son obligation de sécurité, que ses salariés subissent des accidents du travail ou des maladies professionnelles ou non. Au titre de sa responsabilité pénale, l’employeur n’a pas d’obligation de résultat. Un manquement en la matière, un accident du travail, une maladie professionnelle n’entraînent pas nécessairement une responsabilité pénale. Si la responsabilité pénale de l’employeur est reconnue, il est condamné à payer des amendes pénales, est interdit d’exercer, voire condamné à des peines de prison (Illustration : violation manifestement aggravée des obligations de sécurité au travail, un délit pour imprudence notamment).

La Cour de cassation, vient de rappeler que la responsabilité de « l’employeur donneur d’ordre » peut être engagée sur le plan pénal, si un accident intervient à un salarié d’un sous-traitant. C’est le cas si le donneur d’ordre n’a défini aucune mesure spécifique d’organisation des travailleurs des autres entreprises intervenant sur son site contre un risque identifié et si le Code du travail prévoit l’obligation de mise en place de mesures de prévention face à ce risque. La condamnation pénale prononcée contre le donneur d’ordre peut aller jusqu’à 5 ans de prison et 75 000 € d’amende en cas d’accident mortel. S’il incombe au sous-traitant de veiller à la sécurité de ses travailleurs amenés à travailler sur le chantier concerné, le donneur d’ordre a également l’obligation de veiller à l’organisation de la prévention des risques liés à la co-activité. Le donneur d’ordre en matière de bâtiment doit ainsi veiller à la bonne réalisation du Plan particulier de sécurité et de protection de la santé (PPSPS) et à sa bonne mise en œuvre.

Dans l’affaire soumise à la Cour de cassation, plusieurs entreprises intervenaient sur un chantier dont une entreprise sous-traitante. Un salarié de la société sous-traitante fait une chute de 4 mètres. Cette chute occasionne pour ce salarié une fracture de la jambe et entraîne une incapacité temporaire de travail de quatre mois. Le salarié victime de l’accident du travail est tombé après avoir été heurté par un panneau manipulé par un grutier salarié du donneur d’ordre, alors qu’il ébavurait le bord d’une dalle de béton en exécution des instructions du donneur d’ordre.

La Cour de cassation reprenant les motivations de la Cour d’appel constate que l’entreprise donneur d’ordre et son dirigeant « … n’ont défini aucune mesure spécifique d’organisation ou de protection de leurs salariés et des travailleurs des autres entreprises travaillant sur son site … ». L’enquête pénale a établi que l’entreprise donneur d’ordre » … a donné l’ordre au chef de chantier de la société sous-traitante d’ébavurer la dalle litigieuse alors qu’elle avait connaissance de l’absence de dispositif antichute ; qu’il est ainsi caractérisé un non-respect des obligations de sécurité prévues par la réglementation du travail et une faute qualifiée à l’encontre … » du donneur d’ordre et de son responsable légal.

Le responsable légal de la société donneur d’ordre et sa société sont reconnus pénalement responsables.

« Attendu qu’en l’état de ces énonciations dont il résulte que le prévenu a commis une faute caractérisée exposant autrui à un risque d’une particulière gravité qu’il ne pouvait ignorer, la cour d’appel a justifié sa décision ;… » En conséquence de cette responsabilité pénale, le dirigeant de la société donneur d’ordre est condamné à quatre mois d’emprisonnement avec sursis et 10 000 € d’amende, et son entreprise, à 15 000 € d’amende. (Cour de cassation, chambre criminelle, 17 novembre 2015, n° de pourvoi 14-83894).

Mais le donneur d’ordre ne peut jamais être condamné pour faute inexcusable en cas d’accident d’un salarié d’un sous-traitant, même s’il est reconnu pénalement responsable. Le sous-traitant, employeur du salarié victime d’un accident du travail, qui serait condamné pour faute inexcusable, peut lui se retourner contre le donneur d’ordre et lui demander de rembourser le montant de la condamnation pour faute inexcusable, si la responsabilité civile du donneur d’ordre est engagée dans la survenance de l’accident. Il convient pour le donneur d’ordre de vérifier que le contrat d’assurance de responsabilité civile exploitation couvre le recours de l’entreprise sous-traitante, en cas d’accident du travail de l’un de ses salariés et les éventuels dommages et intérêts que le donneur d’ordre serait amené à verser si sa responsabilité civile était engagée.

Le cas des intérimaires

Si un employeur recourt à des intérimaires sur les chantiers, le salarié intérimaire peut agir en reconnaissance de faute inexcusable en cas d’accident. Cette action doit être engagée contre l’agence d’intérim et non contre la société utilisatrice. Là aussi l’agence d’intérim, comme l’entreprise sous-traitante peut agir contre la société utilisatrice dont la responsabilité est engagée sur l’accident de l’intérimaire pour demander le remboursement du montant de la condamnation. En revanche, au contraire du cas de l’accident du travail du salarié sous-traitant, l’accident de l’intérimaire a un impact sur la cotisation accident du travail de la société utilisatrice. L’entreprise utilisatrice voit son compte employeur intégrer un tiers du coût moyen pour le type d’incapacité temporaire subi par l’intérimaire et non un tiers des sommes effectivement perçues par la victime.

Employeurs. Pas d’atténuation de la responsabilité au titre de l’obligation de sécurité, même si le salarié a accepté le risque.

Même si un salarié accepte une mission dont il sait qu’elle lui fait courir des risques quant à sa santé, l’employeur est responsable, sans pouvoir se prévaloir d’une faute de la victime pour voir le montant des dommages et intérêts diminué. C’est ce que vient de juger la Cour de cassation, censurant un arrêt de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence. Une entreprise marseillaise, qui fait du conseil et de l’appui aux territoires, spécialiste de l’économie mixte et du développement territorial, remporte un appel d’offre dans un établissement public au Bourget, au nord de Paris. La consultante de l’entreprise marseillaise chargée de réaliser le marché partage son temps professionnel entre Marseille et Le Bourget, à compter de janvier 2008, conformément à ce qui est prévu. Elle travaille 20 heures par semaine au Bourget (ce qui est censé représenter 50% de son temps de travail) et passe 20 autres heures chaque semaine à faire les déplacements. À la fin du mois de juin 2008, elle alerte ses deux supérieurs (son employeur l’entreprise marseillaise et l’établissement public) des conséquences sur sa vie personnelle et sa santé. La salariée expose que la situation et ses conséquences ne sont plus supportables. Elle demande à trouver une solution qui ménage les intérêts de son employeur et les siens. La salariée multiplie les arrêts maladie. Elle est ensuite déclarée inapte à tout poste comportant des déplacements répétés à l’échelon national, puis licenciée face à l’impossibilité de reclassement. La consultante saisit alors le Conseil des prud’hommes pour obtenir des dommages et intérêts pour réparer une violation par son employeur de son obligation de sécurité. Celui-ci doit prendre « les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs ». La Cour d’appel d’Aix-en-Provence retient dans un premier temps la responsabilité de l’employeur. La Cour relève que « les certificats médicaux joints aux débats attestent des conséquences des conditions de travail de l’intéressée sur sa santé et que la société est manifestement fautive pour n’avoir pas pris en compte les risques d’un état de fait qu’elle connaissait ». Dans un deuxième temps, La Cour d’appel limite le montant des dommages et intérêts accordées à la salariée. Elle retient les arguments de l’employeur qui explique que sa salariée était bien au courant de ce qu’entraînait sa mission au Bourget, l’avait accepté, et demandait une augmentation de salaire pour pallier les difficiles conditions de travail.

« L’indemnisation due doit également inclure la propre attitude de la salariée », juge la Cour d’appel, qui estime que la salariée a « elle-même concouru à son dommage en acceptant un risque qu’elle dénonçait dans le même temps, s’il correspondait à une augmentation de son salaire ». Pour la Cour d’appel, si la salariée était en droit le faire « … il est néanmoins juste qu’elle en supporte également les incidences ». En conséquence la Cour d’appel condamne l’employeur à verser à la salariée 1 000 € à titre de dommages intérêts pour violation de l’obligation de sécurité de résultat et la somme de 1 000 € à titre de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail. La Cour de cassation censure vertement la position de la Cour d’appel. Le fait que le salarié ait eu connaissance du risque et l’ait accepté ne peut en aucun cas atténuer la responsabilité de son l’employeur. Pour censurer cette position, la Cour de cassation rappelle les dispositions de l’article L4122-1 du Code du travail qui définit les obligations du salarié en matière de sécurité au travail. Il indique que le salarié a l’obligation de prendre soin de sa santé et de sa sécurité. Mais la Cour de Cassation mentionne que ce même article précise sans ambiguïté que l’obligation du salarié en la matière est « sans incidence sur le principe de la responsabilité de l’employeur ».(Cour de cassation, chambre sociale, 10 février 2016, n° de pourvoi 14-24350). La prochaine Cour d’appel devra donc condamner l’employeur à des dommages et intérêts d’un montant supérieur à 1 000 € au titre de dommages-intérêts pour violation de l’obligation de sécurité de résultat et à 1 000 € au titre de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail. Il est important de noter que ce type de poursuites par un salarié qui sollicite des dommages et intérêts pour violation de l’obligation de sécurité de résultat et pour exécution dé- loyale du contrat de travail, en l’absence de tout accident de travail, n’est jamais couvert par un contrat d’assurance responsabilité civile exploitation. Seul un contrat d’assurance de Protection Juridique pourra prendre en charge ce type de sinistre. Et si ce contrat d’assurance de Protection Juridique prévoit des prestations indemnitaires, les dommages et intérêts payés par l’entreprise, seront remboursés, au moins en partie. C’est le cas des produits d’assurance proposés par SEPR

Le conseil

Vous êtes donneur d’ordre : il convient d’insérer dans le contrat de sous-traitance une clause exonérant de façon automatique votre responsabilité civile en cas d’accident du travail ou de maladie professionnelle d’un salarié de vos sous-traitants.

Vous êtes sous-traitant : il convient de veiller que ne soit pas inséré dans le contrat de sous-traitance une clause exonérant de façon automatique la responsabilité civile du donneur d’ordre en cas d’accident du travail ou de maladie professionnelle d’un de vos salariés.