Faire de la santé mentale une priorité nationale : tel est l’objectif de la campagne «Parlons santé mentale ! », portée par le ministère du Travail en 2025.
Dans un contexte de hausse préoccupante des troubles psychiques, cette initiative vise à lever le tabou entourant encore ces risques professionnels spécifiques et à stimuler leur prévention. En effet, selon une récente enquête réalisée, en mai dernier, par l’institut Opinion Way pour le cabinet Empreinte Humaine, la prise en compte de l’enjeu de la santé mentale est encore insuffisante dans de nombreuses entreprises.
L’étude d’Opinion Way dresse un tableau sans appel. Si 84 % des actifs interrogés évaluent leur santé mentale comme « bonne » ou « très bonne », les signes de mal-être sont néanmoins largement répandus :
81 % des salariés déclarent ressentir de la fatigue mentale liée aux exigences de leur travail. Près d’un sur deux (45 %) se trouve en situation de détresse psychologique modérée ou élevée, et 1 sur 10 présente même un burn-out sévère.
Les sources de ce mal-être professionnel sont connues : surcharge de travail, injonctions contradictoires, manque de reconnaissance, absence de retour sur le travail accompli, excès de contrôle, conflits non réglés. L’enquête montre ainsi une forte corrélation entre ces facteurs et les niveaux de détresse psychologique. Par exemple, les salariés qui subissent régulièrement des sollicitations imprévues déclarent un mal‑être significatif. Et si la santé mentale peut bien sûr avoir des causes extraprofessionnelles, sept salariés sur dix en détresse psychologique estiment toutefois que leur état est au moins partiellement lié à leur travail.
Obligation de prévention formalisée dans le DUERP
Or, comme le rappelle la campagne « Parlons santé mentale ! », le droit du travail, impose aux employeurs une responsabilité claire en la matière.
L’article L4121-1 du Code du travail les oblige en effet à « prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs ».
Cela suppose une politique de prévention structurée, notamment en matière de risques psychosociaux (RPS). Le premier outil à mobiliser est le Document unique d’évaluation des risques professionnels (DUERP). Socle de toutes les actions de prévention, ce dernier doit recenser les RPS identifiés dans l’entreprise : stress chronique, surcharge mentale, tensions hiérarchiques, harcèlement moral, discriminations, violences verbales ou physiques, etc. L’évaluation doit être fondée sur une observation rigoureuse des situations de travail et s’appuyer sur des indicateurs objectifs : absentéisme, rotation du personnel, accidents, etc.
Prendre des mesures concrètes
Mais le DUERP ne doit évidemment pas rester un document théorique. Il doit déboucher sur un plan d’actions visant à prévenir au maximum les risques identifiés.
Même dans les TPE et PME, des actions concrètes peuvent être mises en place sans bouleverser l’organisation :
- Clarifier les rôles, missions et responsabilités pour limiter la confusion et les tensions ;
- Adopter un management de proximité, fondé sur l’écoute avec un retour régulier
sur le travail réalisé ; - Aménager les rythmes de travail en période de surcharge ou après un événement difficile ;
- Donner une marge d’autonomie et éviter les injonctions contradictoires ;
- Permettre l’expression des difficultés, à travers des entretiens, des réunions, voire des canaux anonymes ;
- Intégrer des indicateurs psychosociaux dans le pilotage de l’activité.
Un enjeu de santé… et de performance
Selon l’étude Opinion Way, seules 62 % des entreprises déclarent toutefois avoir formalisé un DUERP intégrant les RPS, et à peine 49 % évaluent spécifiquement la santé psychologique de leurs salariés. Il existe donc une marge de progression significative, notamment dans les structures les plus modestes. Il faut espérer que les entreprises s’en emparent car l’état psychologique de leurs salariés a évidemment un impact direct sur leur fonctionnement et leur performance.
La souffrance psychique provoque en effet du désengagement, une baisse de la qualité du travail, une hausse de l’absentéisme et des tensions dans les équipes.
À l’inverse, l’étude Opinion Way montre que les entreprises offrant un haut niveau de sécurité psychologique en favorisant notamment l’autonomie et la confiance sont plus efficaces. En leur sein, seuls 37 % des salariés présentent des signes de détresse contre 58 % dans les structures perçues comme rigides ou directives. Et ces entreprises se distinguent aussi par une plus grande fierté d’appartenance, une meilleure capacité d’innovation et un engagement plus fort. La prévention des RPS et la promotion du bien-être psychologique des collaborateurs sont des leviers de performance durable.
Hausse continue des risques psychiques
Les risques professionnels se transforment en même temps que le tissu économique et que les modes d’organisation du travail. C’est ce que souligne l’enquête Sumer réalisée tous les sept ans depuis 1994 par le ministère du Travail pour mesurer l’exposition des salariés aux risques professionnels.
Risques physiques en baisse et charge mentale en hause
L’édition 2017, établie à partir d’entretiens menés auprès de 26.500 salariés révèle que “la plupart des expositions des salariés aux contraintes physiques ont baissé”. Ainsi, grâce à la diffusion des aides mécanisées, de moins en moins de salariés pratiquent la manutention manuelle de charges sur des périodes longues : 4,7 % en 2017 contre 7 % en 1994. Autre signe de l’évolution des modes de production, l’exposition à des agents et produits chimiques a chuté de 15 points chez les agriculteurs.
En revanche, l’enquête pointe “une intensité du travail demeurant élevée”. Ainsi, “environ un tiers des salariés subissent toujours au moins 3 contraintes de rythme, soit 4 points de plus qu’en 1994”. Quelque 56 % rapportent par exemple un “rythme de travail imposé par une demande extérieure obligeant à une réponse immédiate”. De même, le contrôle exercé via des systèmes informatiques a augmenté de 18 points entre 1994 et 2017 et concerne désormais près d’un tiers des salariés. “Ce mouvement reflète la diminution de la hiérarchie intermédiaire et la diffusion des outils numériques, y compris dans les ateliers”, écrivent les experts de la Dares.
Hausse de la charge mentale
Cette évolution n’est évidemment pas sans conséquence pour la santé des travailleurs. En effet, “l’intensité du travail est un des facteurs essentiels des risques psychosociaux au travail” en même temps qu’elle révèle de vives difficultés organisationnelles. Signe de la difficulté des entreprises à s’adapter à un environnement volatil, “la proportion de salariés déclarant devoir fréquemment interrompre une tâche pour en effectuer une autre non prévue a fortement augmenté sur la période, de 46 % en 1994 à 58 % en 2017, ce qui est très coûteux en termes de charge mentale”.
En contradiction avec les promesses du néo-management fondé sur la responsabilisation et l’initiative des individus, l’étude souligne aussi que “les marges de manœuvre tendent à diminuer sur la période 2003-2017, réduisant ainsi l’autonomie des salariés”. Ainsi, en 2017, 42 % des salariés ne peuvent pas faire varier les délais fixés, contre 35 % en 2003. Or, comme le soulignent les analystes de la Dares, “le manque d’autonomie est un autre facteur essentiel des risques psychosociaux au travail”.
Des mutations structurelles à prendre en compte
En soulignant ainsi les causes fondamentales, aussi bien technologiques que macroéconomiques, des risques psychosociaux, cette étude rend justice aux managers, aux patrons et aux travailleurs. Plus question de faire porter la responsabilité du mal-être au travail à des managers prétendument pervers ou à des employés trop fragiles. Ainsi, parmi l’ensemble des salariés, seule une minorité déclare subir des comportements hostiles (15,6 %), méprisants (11,1 %), un déni de reconnaissance (9,2 %) ou des atteintes dégradantes (2,5 %). Ces résultats conduisent à une salutaire prise de conscience : ils signifient que la souffrance psychologique des salariés, loin d’être fortuite ou accidentelle, résulte des profondes évolutions à l’œuvre dans la société et le monde du travail. Voilà pourquoi les organisations doivent s’y attaquer sans aucune culpabilité mais avec détermination comme elles le font de tout problème d’importance.