Prévention des risques et vieillissement démographique

Les départs massifs à la retraite risquent de fragiliser la mémoire collective des entreprises et la culture de prévention et de sécurité…

À l’horizon 2050, le vieillissement de la population active constituera un défi majeur pour les entreprises françaises. Or, comme le souligne une récente étude prospective menée par l’INRS, cette évolution inéluctable nécessite de repenser les stratégies de prévention des risques professionnels.

Une prévention adaptée, condition de maintien en emploi

Selon les projections démographiques, la part des plus de 65 ans dans la population française devrait passer de 21,8 % en 2024à 27 % en 2050. Dans le même temps, la part des plus de 55 ans dans la population active grimperait, elle, de 18,3 % à 21,9 %. Ce phénomène, conjugué à un recul progressif de l’âge de départ à la retraite, risque de renforcer l’usure professionnelle et de multiplier les cas d’inaptitude au travail.
Afin de conjurer cette sombre perspective, la prévention des risques doit évoluer pour accompagner une main-d’œuvre plus âgée, mais aussi plus hétérogène en termes d’âge et de sexe. Il ne s’agira plus seulement d’adapter les postes, mais de transformer l’organisation du travail dans son ensemble. L’INRS insiste ainsi sur la nécessité de « respecter le principe d’adaptation du travail à l’humain dans une optique de soutenabilité »,

Assurer la transmission de la culture de prévention

Autre point d’importance : les auteurs soulignent que les évolutions démographiques impliquent également d’anticiper la transmission des savoirs en matière de santé et de sécurité. En effet, les départs massifs à la retraite risquent de fragiliser la mémoire collective des entreprises et la culture de prévention et de sécurité qu’elles avaient élaborée au cours de leur existence.

Un enjeu vital pour les entreprises

Au-delà des indispensables initiatives publiques qui accompagneront ce phénomène, les entreprises doivent comprendre que la prise en compte du vieillissement à venir de la population active est, pour elles, un impératif vital. En effet, sans amélioration durable des conditions de travail, d’actions de prévention de l’usure professionnelle et d’aménagement des parcours et des postes en fonction de l’âge, les entreprises seront confrontées à une explosion des coûts liés à l’absentéisme, à la perte d’attractivité et à la baisse de la productivité.

Agir dès maintenant sur les conditions de travail

Et c’est bien sûr dès maintenant qu’il faut agir. En effet, les jeunes travailleurs d’aujourd’hui sont les travailleurs âgés de 2050. Le meilleur moyen de relever le défi de l’accentuation du vieillissement de la population active consiste donc à améliorer dès maintenant les conditions de travail de tous les travailleurs, y compris des plus jeunes !

(1) “Évolutions démographiques à 2050, quels enjeux de santé et sécurité au travail”, in Références en santé au travail, n°181, mars 2025, consultable sur www.inrs.fr.

 

Condamnation de France Travail : une confirmation de l’obligation de protéger ses salariés des violences

« Même si les entreprises ne sont pas responsables des comportements de tiers, elles ont l’obligation légale de prévenir les risques et de protéger leurs salariés ».

Fin avril, France Travail a été condamné, en appel, pour « faute inexcusable »  à  la  suite  du  meurtre  d’une  conseillère  dans une  agence.  Cette décision rappelle, avec gravité, que les  employeurs ne sont pas seulement tenus de prendre toutes les mesures nécessaires pour protéger leurs  salariés  contre  les  violences  internes.  Ils doivent aussi agir pour les protéger des  agressions  externes.

Le 23 janvier dernier, la cour d’appel de Grenoble a confirmé la condamnation de France Travail (anciennement Pôle emploi) après le meurtre, en 2021de Patricia Pasquion, conseillère à l’agence Victor Hugo de Valence. L’établissement public devra verser 3000 euros au mari de la victime.

France Travail : un manquement lourd de conséquences

À l’appui de sa décision la cour souligne que, selon elle, France Travail « n’a pas pris les mesures nécessaires à prévenir un risque d’agression, y compris mortel, dont il avait ou aurait dû avoir conscience ». Patricia Pasquion, âgée de 54 ans, avait été tuée dans son bureau par Gabriel Fortin, surnommé le « tueur de DRH », qui avait pu accéder sans entrave aux bureaux des agents en raison de l’absence de séparation sécurisée entre la zone d’accueil et les bureaux. La cour d’appel a relevé que l’agence était pourtant identifiée comme « à risque » et que des précédents existaient : une note interne faisait état de 561 agressions recensées en 2016 dans les agences de la région Auvergne-Rhône-Alpes.

« L’employeur avait parfaitement conscience des dangers qui pouvaient exister », a souligné l’avocat du mari de la victime, Me Dreyfus, ajoutant que cette décision pourrait « faire avancer les choses en termes de sécurité » (1).

Des décisions régulières sur l’obligation de protection

L’affaire France Travail n’est pas un cas isolé. De nombreuses décisions rappellent que les employeurs sont juridiquement responsables de la sécurité de leurs salariés face aux agressions extérieures. Ainsi, dans une autre affaire, une gardienne d’immeuble travaillant pour un office de HLM dans le Val-de-Marne a obtenu la reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur après avoir été agressée verbalement et menacée de mort par deux locataires (2). Il ne s’agissait pas d’un incident exceptionnel : la salariée avait déjà été agressée à plusieurs reprises…

La cour d’appel de Paris a jugé que l’employeur avait pleinement conscience du danger auquel la salariée était exposée. Ce risque avait d’ailleurs été identifié dans le Document unique d’évaluation des risques professionnels (DUERP) de l’entreprise. Or, malgré cette identification, les mesures prises par l’employeur ont été jugées insuffisantes : la loge n’était pas équipée d’un dispositif de contrôle d’accès sécurisé tel qu’un visiophone, elle ne disposait pas non plus d’un moyen d’alerte rapide en cas de danger, et, même après l’accident, la salariée n’avait pas été mutée sur un poste suffisamment éloigné de son lieu initial d’agression.

La cour a donc estimé que si certaines mesures avaient été mises en place, elles n’étaient ni concrètes, ni suffisantes pour garantir la sécurité de la salariée. L’employeur a ainsi été condamné à indemniser l’ensemble des préjudices subis

Un contexte d’augmentation inquiétante des violences

Au-delà des décisions de justice, le contexte général renforce la nécessité d’agir. Selon un sondage de l’Institut Elabe, 77 % des Français estiment que la société est « de plus en plus violente », et 60 % se déclarent souvent ou de temps en temps inquiets pour leur sécurité (3).
Le monde du travail n’échappe pas à cette évolution. Chauffeurs, enseignants, médecins, commerçants, agents de sécurité ou encore téléopérateurs : de nombreux professionnels en contact avec le public subissent insultes, menaces ou agressions physiques.

Les employeurs n’ignorent d’ailleurs pas cette triste réalité. L’Observatoire Pôle Prévention des risques professionnels dans les petites entreprises, réalisé à partir de l’examen des Documents uniques d’évaluation des risques professionnels (DUERP) réalisés, en 2023, dans 5850 entreprises de 1 à 205 salariés a ainsi identifié que 26,19 % d’entre elles identifient « un risque lié à la malveillance » et que 20,91 % se disent « préoccupées par le risque d’agression de leur personnel » (4).

De graves conséquences pour les salariés et l’entreprise

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Télétravail : des risques psychosociaux à surveiller

« Le contexte personnel (logement, charges familiales) et professionnel (autonomie, soutien managérial) joue un rôle déterminant ».

Depuis la crise sanitaire, le télétravail s’est durablement installé dans l’organisation du travail en France : en 2023, quelque 26 % des salariés y avaient déjà recours selon la dernière étude publiée par la DARES en mars 2025. Or, s’il présente de nombreux avantages, il n’est pas non plus sans effets négatifs. Une récente étude de la DARES met ainsi en lumière plusieurs risques psychosociaux associés à son développement (1).

Trois grandes catégories de risques

L’étude identifie trois grandes catégories de risques psychosociaux liés à la généralisation du télétravail.

  1. La distanciation des relations sociales : la diminution des interactions avec les collègues et la hiérarchie peut entraîner un isolement, une perte de repères collectifs et affaiblir la dynamique d’équipe. En 2021, 37 % des télétravailleurs déclaraient se sentir isolés, contre 22 % des salariés en présentiel.
  2. L’intensification du travail : bien que le télétravail puisse accroître l’autonomie, il s’accompagne aussi d’une hausse des exigences, d’une hyperconnectivité accrue, d’un brouillage des limites horaires et d’un risque de surcharge mentale. Ainsi, 23 % des télétravailleurs déclaraient une augmentation de l’intensité de leur travail pendant la crise sanitaire.
  3. Les difficultés d’articulation entre vie professionnelle et vie personnelle : le télétravail peut accentuer le brouillage entre sphères privée et professionnelle, compliquer la gestion des temps de vie et, notamment pour les femmes, aggraver la charge mentale domestique. L’étude souligne que de nombreux télétravailleurs rencontrent des difficultés pour concilier leurs diverses obligations.

Une infinité de situations différentes

La DARES souligne aussi que ces risques ne touchent pas tous les salariés de la même façon. Le contexte personnel (logement, charges familiales) et professionnel (autonomie, soutien managérial) joue un rôle déterminant. Certains salariés bénéficient pleinement des avantages du télétravail, tandis que d’autres voient leur santé mentale fragilisée. Les auteurs insistent sur la nécessité pour les employeurs d’intégrer ces évolutions dans leurs politiques de prévention, en adaptant les modes d’organisation et en soutenant le maintien du lien social au sein des équipes.

(1) “Les risques psychosociaux associés au développement du télétravail”, mars 2025, consultable sur www.dares.travail-emploi.gouv.fr.