Condamnation de France Travail : une confirmation de l’obligation de protéger ses salariés des violences
« Même si les entreprises ne sont pas responsables des comportements de tiers, elles ont l’obligation légale de prévenir les risques et de protéger leurs salariés ».
Fin avril, France Travail a été condamné, en appel, pour « faute inexcusable » à la suite du meurtre d’une conseillère dans une agence. Cette décision rappelle, avec gravité, que les employeurs ne sont pas seulement tenus de prendre toutes les mesures nécessaires pour protéger leurs salariés contre les violences internes. Ils doivent aussi agir pour les protéger des agressions externes.
Le 23 janvier dernier, la cour d’appel de Grenoble a confirmé la condamnation de France Travail (anciennement Pôle emploi) après le meurtre, en 2021de Patricia Pasquion, conseillère à l’agence Victor Hugo de Valence. L’établissement public devra verser 3000 euros au mari de la victime.
France Travail : un manquement lourd de conséquences
À l’appui de sa décision la cour souligne que, selon elle, France Travail « n’a pas pris les mesures nécessaires à prévenir un risque d’agression, y compris mortel, dont il avait ou aurait dû avoir conscience ». Patricia Pasquion, âgée de 54 ans, avait été tuée dans son bureau par Gabriel Fortin, surnommé le « tueur de DRH », qui avait pu accéder sans entrave aux bureaux des agents en raison de l’absence de séparation sécurisée entre la zone d’accueil et les bureaux. La cour d’appel a relevé que l’agence était pourtant identifiée comme « à risque » et que des précédents existaient : une note interne faisait état de 561 agressions recensées en 2016 dans les agences de la région Auvergne-Rhône-Alpes.
« L’employeur avait parfaitement conscience des dangers qui pouvaient exister », a souligné l’avocat du mari de la victime, Me Dreyfus, ajoutant que cette décision pourrait « faire avancer les choses en termes de sécurité » (1).
Des décisions régulières sur l’obligation de protection
L’affaire France Travail n’est pas un cas isolé. De nombreuses décisions rappellent que les employeurs sont juridiquement responsables de la sécurité de leurs salariés face aux agressions extérieures. Ainsi, dans une autre affaire, une gardienne d’immeuble travaillant pour un office de HLM dans le Val-de-Marne a obtenu la reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur après avoir été agressée verbalement et menacée de mort par deux locataires (2). Il ne s’agissait pas d’un incident exceptionnel : la salariée avait déjà été agressée à plusieurs reprises…
La cour d’appel de Paris a jugé que l’employeur avait pleinement conscience du danger auquel la salariée était exposée. Ce risque avait d’ailleurs été identifié dans le Document unique d’évaluation des risques professionnels (DUERP) de l’entreprise. Or, malgré cette identification, les mesures prises par l’employeur ont été jugées insuffisantes : la loge n’était pas équipée d’un dispositif de contrôle d’accès sécurisé tel qu’un visiophone, elle ne disposait pas non plus d’un moyen d’alerte rapide en cas de danger, et, même après l’accident, la salariée n’avait pas été mutée sur un poste suffisamment éloigné de son lieu initial d’agression.
La cour a donc estimé que si certaines mesures avaient été mises en place, elles n’étaient ni concrètes, ni suffisantes pour garantir la sécurité de la salariée. L’employeur a ainsi été condamné à indemniser l’ensemble des préjudices subis
Un contexte d’augmentation inquiétante des violences
Au-delà des décisions de justice, le contexte général renforce la nécessité d’agir. Selon un sondage de l’Institut Elabe, 77 % des Français estiment que la société est « de plus en plus violente », et 60 % se déclarent souvent ou de temps en temps inquiets pour leur sécurité (3).
Le monde du travail n’échappe pas à cette évolution. Chauffeurs, enseignants, médecins, commerçants, agents de sécurité ou encore téléopérateurs : de nombreux professionnels en contact avec le public subissent insultes, menaces ou agressions physiques.
Les employeurs n’ignorent d’ailleurs pas cette triste réalité. L’Observatoire Pôle Prévention des risques professionnels dans les petites entreprises, réalisé à partir de l’examen des Documents uniques d’évaluation des risques professionnels (DUERP) réalisés, en 2023, dans 5850 entreprises de 1 à 205 salariés a ainsi identifié que 26,19 % d’entre elles identifient « un risque lié à la malveillance » et que 20,91 % se disent « préoccupées par le risque d’agression de leur personnel » (4).