Télétravail – L’entreprise et la société au défi d’un nouveau mode de vie

« Loin de représenter une martingale managériale et une pratique par nature bénéfique, le télétravail nécessite la mise en place de nouvelles régulations et de nouveaux équilibres »

“La principale difficulté que j’ai rencontrée lors de mes premières recherches […] fut… de trouver des télétravailleurs. On estimait d’ailleurs qu’il y avait plus d’études sur le télétravail que de personnes qui le pratiquaient”, confie Laurent Taskin. C’est en effet à la fin du siècle dernier que ce docteur en sciences économiques et professeur affilié à l’université Paris-Dauphine a commencé à s’intéresser au télétravail auquel il vient de consacrer un ouvrage (1).

Nouvelles aspirations et valeurs

Depuis, tout a évidemment changé ! À la faveur de la crise du Covid et des progrès des technologies numériques, le télétravail est en effet devenu massif. Pour Laurent Taskin, cette mutation n’est pas seulement technique mais signe l’émergence de nouvelles aspirations et valeurs qui transforment au premier chef le monde du travail. À l’instar de nombreux dirigeants d’entreprise, il remarque ainsi que, pour de nombreux salariés, le télétravail est devenu “un droit, une évidence, un mode de vie”. Si bien que le télétravail serait l’emblème d’une société dans laquelle, pour le meilleur comme pour le pire, “les choix individuels sont premiers” et où “l’idéal de liberté” s’exprime.

Des nouveaux équilibres à trouver

Cette mutation n’est évidemment pas neutre pour les entreprises. Laurent Taskin remarque ainsi que, dans ce cadre, la collaboration des membres de l’entreprise ne va plus du tout de soi. Mais ce défi concerne bien sûr aussi les salariés soumis à de nouvelles contraintes à gérer : “invasion de l’espace privé, hyperconnexion, stress lié à cet entremêlement, efforts accrus de visibilisation de son travail”. À l’issue de cette étude, une conviction émerge : loin de représenter une martingale managériale et une pratique par nature bénéfique, le télétravail nécessite la mise en place de nouvelles régulations et de nouveaux équilibres de façon à préserver aussi bien le bon fonctionnement de l’entreprise que la santé des travailleurs.

“Le Télétravail, un mode de vie”, par Laurent Taskin, Les Presses de Sciences Po, 140 p., 9 €.

Les bureaux se refont une beauté pour faire revenir les travailleurs

« Pour faire revenir leurs salariés, les entreprises ont donc intérêt à veiller à leur proposer des bureaux non seulement fonctionnels mais esthétiques ».

Alors que beaucoup d’entreprises opèrent un rééquilibrage entre temps de présence au bureau et télétravail, une récente enquête de l’IFOP (1) met en évidence l’atout que représente la qualité esthétique des lieux de travail pour y faire revenir les salariés.

La beauté des locaux, source de bien-être professionnel

Sans surprise, l’enquête confirme que les bureaux esthétiques et bien tenus dopent le bien-être professionnel. En effet, “les salariés qui accordent une note esthétique très élevée à leurs bureaux (supérieure ou égale à 9 sur 10) ont également une note de bien-être largement supérieure (8,9 contre 7,1 en moyenne pour l’ensemble des salariés). À l’autre bout du spectre, ceux qui accordent une note esthétique égale ou inférieure à 5 /10 à leur lieu de travail, affichent une note de bien-être moyenne de 5,9, soit 1,2 point de moins que la moyenne générale”.

Compétition entre bureau et domicile

L’enquête démontre aussi que les salariés ayant la possibilité de télétravailler ont tout naturellement tendance à comparer leur bureau avec leur domicile. Si bien que les salariés qui estiment que leur espace de travail est “plus beau chez eux” pratiquent plus de travail à distance : 2,1 jours par semaine, contre 1,5 jour en moyenne. Or, selon l’enquête, ce serait aujourd’hui l’opinion de 43 % des travailleurs.

Pour faire revenir leurs salariés, les entreprises ont donc intérêt à veiller à leur proposer des bureaux non seulement fonctionnels mais esthétiques. C’est tout à fait possible : dès à présent, 53 % des salariés estiment que “leur bureau est un lieu de vie où ils aiment passer du temps” plutôt qu’“uniquement un lieu de travail où ils préfèrent passer le moins de temps possible”.

(1) 11e baromètre SFL-IFOP Paris Workplace 2024, novembre 2024, consultable sur www.ifop.com

Violences externes – Comment protéger ses salariés ?

« Un climat d’insécurité génère toujours une dégradation du climat social et empêche les salariés de développer leur potentiel. Il plombe l’enthousiasme et la motivation, entrave la créativité, accroît l’absentéisme et amoindrit la loyauté envers l’entreprise et envers les clients… »

Chauffeurs de bus, enseignants, médecins, guichetiers d’agences bancaire, téléopérateurs, commerçants, caissières de supermarché, releveurs de compteur, livreurs, agents d’entretien, réparateurs, etc. Les travailleurs en contact avec le public sont de plus en plus nombreux à subir des actes de violences de la part de clients, d’usagers ou de patients. Face à ce vent mauvais, entreprises et administrations peuvent – et même doivent – prendre des mesures pour protéger la santé physique et mentale de leurs employés.

Le constat est hélas largement partagé selon un récent sondage de l’Institut: Elabe, “77 % des Français font le constat d’une société de plus en plus violente” et 60 % déclarent se sentir souvent (17 %) ou de temps en temps (43 %) “inquiets pour leur propre sécurité”. Or, cette montée de la violence n’épargne évidemment pas le monde du travail, de nombreux travailleurs étant exposés à ce que l’on appelle les “violences externes”. En 2010, 15 % des salariés du régime général et 23,5 % des salariés de la fonction publique déclaraient avoir subi au moins une agression verbale au cours des douze derniers mois. Et ils étaient respectivement 2 % et 4 % à signaler avoir été victime d’au moins une agression physique durant la même période. Or, chacun sait que la situation est très loin de s’être améliorée depuis…

Une grande variété de violences

Pour cerner l’ampleur du phénomène, il faut d’abord bien comprendre que les violences externes ne sont pas constituées des seuls actes criminels. Comme le souligne l’INRS, elles comprennent en effet l’ensemble des “insultes, menaces, agressions physiques ou psychologiques, exercées contre une personne sur son lieu de travail, par des personnes extérieures à l’entreprise, y compris des clients et qui mettent en péril sa santé, sa sécurité ou son bien-être”.
Les violences externes ne se limitent donc nullement aux actes pouvant donner lieu à des poursuites pénales. Ainsi, un employé de service après-vente régulièrement exposé à la colère des clients qu’il gère est incontestablement victime de violences externes, même si l’agressivité de ceux-ci relève de la simple grossièreté et ne les expose pas à des poursuites.

De multiples facteurs de risque

Pour identifier les causes de l’explosion des violences externes, l’INRS évoque plusieurs facteurs de risque. Il pointe ainsi des causes économiques et sociales, comme la précarité de certains publics et des causes socioculturelles comme “l’évolution des codes du savoir-vivre ensemble”. “Les manières de parler, d’interpeller l’autre, de se comporter avec lui… divergent selon les valeurs, les codes culturels et les modes d’éducation de chacun”, observent les experts.

Mais il faut aussi compter avec des facteurs liés à l’organisation de l’entreprise ou à la gestion de la relation avec les clients ou les usagers. Ainsi, des produits ou services ne correspondant pas aux attentes du client ou délivrés avec retard démultiplient bien évidemment les occasions de tensions. Lire la suite

Espérance de vie – Les entreprises au service de la santé publique

« Les entreprises sont incitées à endosser le rôle d’auxiliaires de santé publique, voire de prescripteurs de comportements “vertueux” : ne pas fumer, éviter l’alcool, manger sainement, faire du sport, etc. »

Les inégalités professionnelles en matière d’espérance de vie persistent mais se réduisent progressivement. C’est ce qui ressort des dernières statistiques publiées cet été par l’Insee (1). En effet, aujourd’hui, les hommes cadres vivent en moyenne 5,3 ans de plus que les ouvriers, alors que, dans les années 1990, cet écart était de 7 ans.

Amélioration des conditions de travail

Pour maintenir cette belle dynamique, il convient bien sûr de poursuivre les efforts accomplis ces dernières décennies en matière de prévention des risques professionnels et d’amélioration des conditions de travail. En effet, comme le note l’Insee, “la nature des professions exercées explique en partie les écarts, puisqu’elle peut être la cause directe d’un état de santé plus ou moins bon, et donc d’une durée de vie plus ou moins longue.
Les cadres sont moins soumis aux risques professionnels (accidents et maladies du travail, conditions de travail pénibles, etc.) que les ouvriers”
. Même si le travail des ouvriers restera nécessairement plus dangereux que celui des cadres, des progrès peuvent certainement encore être accomplis et l’entreprise a bien sûr, en la matière, un rôle prépondérant à jouer.

Promotion de l’hygiène de vie

Mais les écarts d’espérance de vie résultent bien sûr aussi des différences de mode de vie entre les groupes sociaux. En effet, comme le soulignent les experts de l’Insee “les comportements de santé à risque, les moindres recours et accès aux soins, ou encore l’obésité sont moins fréquents chez les cadres que chez les ouvriers”. Or, contrairement à une idée reçue, l’entreprise peut également jouer un rôle dans la promotion de l’hygiène de vie. Ainsi, le quatrième Plan Santé au Travail (PST4) souhaite “promouvoir les activités physiques et sportives (APS) en entreprise” en soulignant que “le milieu professionnel constitue un espace possible pour développer les activités physiques et sportives”.

Convergence entre santé au travail et santé publique
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Les difficultés persistantes des “travailleurs invisibles”

“Les Invisibles travaillent en moyenne 10% moins que les autres actifs, mais gagnent 32 % de moins, et 13 % ne parviennent pas à subvenir à leurs besoins primaires ».

Ils sont agents d’entretien, aides à domicile, caristes, aides-soignants, vigiles, livreurs, éboueurs, caissiers ou encore ouvriers agricoles… Quatre ans après la crise sanitaire du Covid 19, qui avait révélé leur contribution essentielle au fonctionnement de l’économie et de la société, ces 11 millions de « travailleurs invisibles » viennent de faire l’objet d’une étude qui révèle leurs difficiles conditions de travail et de vie.

“Les Invisibles travaillent en moyenne 10% moins que les autres actifs, mais gagnent 32 % de moins, et 13 % ne parviennent pas à subvenir à leurs besoins primaires. À cette vie d’arbitrages et de frustrations s’ajoute une pénibilité professionnelle qui amène seulement un Invisible sur quatre à se sentir en capacité d’exercer son activité jusqu’à la retraite. Ils sont par ailleurs plus nombreux à travailler avec des horaires atypiques et morcelés, et disposent de moins d’autonomie dans l’organisation de leur travail et la gestion de leur temps”, notent les auteurs de l’étude que la fondation Travailler Autrement a récemment consacrée à ces travailleurs de première ligne.

Conditions de travail (et de vie)

Mais l’intérêt de l’étude tient au fait que loin de s’en tenir aux seules conditions de travail de cette population, elle se penche aussi sur leurs conditions de vie. En effet, au-delà de vies professionnelles fortement marquées par la précarité et la pénibilité, ces travailleurs affrontent aussi d’autres contraintes, notamment familiales et territoriales, qui, en se cumulant, aboutissent à “des vies davantage subies que choisies”. Ainsi, “42 % des Invisibles éprouvent des difficultés à conjuguer leur vie professionnelle et le rythme scolaire de leurs enfants, mais ils sont aussi plus nombreux que les autres actifs à s’absenter du travail pour garder leurs enfants, faute de moyens ou de proches disponibles pour s’occuper de leurs enfants.” Enfin, “si chez les Invisibles, la voiture reste le mode de transport le plus utilisé pour se rendre au travail, ils sont moins de la moitié à faire le plein quand ils se rendent à la pompe à essence.

Leurs dépenses mensuelles dédiées aux déplacements sont plus élevées que celles des autres actifs”, notent les auteurs. L’étude alerte aussi sur le facteur amplificateur de difficultés que représente l’explosion des familles monoparentales. “La monoparentalité, souvent subie, agit comme un facteur qui impacte, amplifie et aggrave tous les autres, et complexifie le quotidien. Le foyer, c’est le bâti, le socle, l’ossature, quand celui-ci est sécurisé. Fragile, c’est tout l’édifice de vie des Invisibles qui vacille”.  Or la monoparentalité, est 4 fois plus élevée dans les familles d’Invisibles que chez les autres actifs…

Ce tableau éloquent est d’une grande utilité pour les employeurs qui entendent lancer des actions d’amélioration des conditions de travail. Pour prendre des mesures pertinentes, il est en effet crucial de ne pas faire abstraction des difficultés que rencontrent les travailleurs dans les autres aspects de leur vie.

Pour en savoir plus : une synthèse de l’étude est disponible sur le site de la fondation : www.fondation-travailler-autrement.org.