Écarts de conduite avérés au travail, ils doivent être combattus
« 80,4 % des conducteurs en mission professionnelle déclarent téléphoner au volant, 53,8 % lisent des sms reçus et 34,2 % en envoient en conduisant. »
À bord de leur véhicule personnel ou dans celui de l’entreprise, les usagers de la route n’adoptent pas toujours la même attitude. Ce comportement, confirmé par différentes études, interpelle sur les raisons qui peuvent expliquer ces écarts de conduite . Quelles qu’elles soient, les entreprises doivent s’organiser pour lutter contre ce phénomène. Plusieurs leviers sont à leur disposition pour y parvenir.
Déplacements personnels ou professionnels : les attitudes diffèrent
« Les conducteurs collectionnent les imprudences lors de leurs trajets professionnels. » C’est la conclusion dressée par Axa Prévention, à l’issue d’une enquête (Kantar TNS Sofres), publiée le 26 septembre 2017. En effet, l’assureur, qui publie chaque année un baromètre des comportements au volant, a réalisé, lors de la treizième édition, un focus sur les trajets professionnels. Les résultats sont explicites. Les actifs, régulièrement sur la route, cumulent onze comportements dangereux au volant contre neuf, en moyenne, pour l’ensemble des automobilistes.
Trajets professionnels : excès de… vitesse excessive
Premier constat de l’enquête, il est lié à la vitesse. En comparaison à tous les trajets routiers dans leur ensemble, les trajets professionnels font plus souvent l’objet de dépassements de vitesse (88 % contre
82 % pour tous les trajets). Sur autoroute, 54 % des conducteurs avouent dépasser les limitations de vitesse, jusqu’à 140 voire 150 km/h, dans un contexte professionnel, contre 46 % dans le cadre de trajets à titre personnel. Ils sont même 17 % à rouler à plus de 160 km/h (26 % avec un véhicule de fonction), contre 11 % pour l’ensemble des automobilistes. Secrétaire générale d’Axa Prévention, Céline Soubranne note là une attitude qui va à l’encontre de la tendance globale : « Depuis quelques années, sur autoroute, nous avons vu baisser de manière significative les comportements impliquant des grands excès de vitesse, à une exception près : ceux survenus au cours des trajets professionnels. Cela nous interpelle, forcément. »
Déjà en 2014, une étude publiée conjointement par l’ASFA (Association des sociétés françaises d’autoroutes et d’ouvrages routiers) et l’association Prévention Routière, menée auprès d’automobilistes empruntant l’autoroute pour raisons professionnelles, parvenait à des résultats similaires(1). 51,9 % des conducteurs en mission professionnelle déclaraient rouler au-dessus de la limitation de vitesse sur autoroute.
Trop d’alcool dans le contexte professionnel
Une disparité de comportements similaire est détectée pour un autre facteur d’accident : la consommation d’alcool. Céline Soubranne précise : « Depuis 13 ans qu’il existe, le baromètre Axa montre d’importants progrès en matière de conduite après une consommation d’alcool. Mais les mauvais comportements demeurent plus élevés pour les professionnels. » Ici aussi, l’étude le confirme : 30 % des automobilistes qui conduisent dans le cadre d’un trajet professionnel prennent la route après avoir consommé plus de deux verres alcoolisés (contre 22 %, en moyenne, en général). Ils sont même 7 % à prendre le volant après quatre ou cinq verres (4 % pour l’ensemble des automobilistes).
À l’inverse du facteur vitesse, il est difficile pour toute personne conduisant régulièrement pour son activité professionnelle d’argumenter sur la pression subie au travail pour expliquer des excès alcoolisés. Toutefois, l’organisation de pots en entreprise et de repas d’affaires alcoolisés suffisent à engager la responsabilité de l’entreprise, dans ce domaine.
Fatigue et somnolence, pas de répit au travail
Quant à la fatigue ou la somnolence au volant, elles peuvent être directement liées au stress d’une activité professionnelle ou à la pression.
Les trajets professionnels sont ainsi davantage sujets à des conduites en état de fatigue (52 % contre 45 % pour l’ensemble des conducteurs). 43 % des professionnels sont susceptibles de rouler longtemps sans faire de pause (contre 34 %, pour l’ensemble des conducteurs quelle que soit la situation). Les actifs conduisant régulièrement sont aussi beaucoup plus nombreux à rouler la nuit (76 %), en comparaison avec la totalité des conducteurs (58 %).
L’enquête de l’ASFA relève également que 62,5 % des conducteurs en mission professionnelle ont déjà lutté contre le sommeil au cours de leurs trajets autoroutiers, y compris sur les trajets domicile/travail ou en mission courte (contre 36,8 % pour l’ensemble des conducteurs). 15 % ont même vécu un accident, un incident ou un « presque accident » dû a un bref assoupissement. De plus, 41,3 % des conducteurs en mission professionnelle et 27,7 % sur leur trajet domicile/travail estiment conduire avec une dette de sommeil.
Véhicule de fonction : prise de risque accrue
L’étude Axa Prévention démontre aussi que les comportements à risque sont exacerbés avec un véhicule de fonction. 59 % des conducteurs prennent le volant en étant fatigués et 53 % conduisent longtemps, sans faire de pause (contre 43 % pour les professionnels dans leur propre véhicule et 34 % pour l’ensemble des automobilistes), 60 % ne réduisent pas leur vitesse sous la pluie (contre 47 % en moyenne).
Dès lors, un tiers seulement des automobilistes qui conduisent dans un cadre professionnel peuvent être considérés, selon Axa Prévention, comme de bons conducteurs. Pour l’ensemble des automobilistes, ce taux est de 50%.
C’est moins le fait de rouler avec un véhicule qui appartient à leur employeur que le contexte professionnel qui serait donc propice à la multiplication des imprudences et aux comportements à risque des salariés au volant.
Le piège du smartphone
L’analyse des chiffres recueillis par les études sur un autre facteur d’accident, l’usage du téléphone, semble également le démontrer.
L’avènement du smartphone explique le recours accru au téléphone au volant. Le conducteur est davantage tenté de jeter un œil à ses notifications régulières. « Plus les conducteurs sont équipés d’un téléphone de dernière génération, plus ils le consultent au volant » confirme Christophe Ramond, directeur Études et Recherches à l’association Prévention Routière.
Selon l’enquête de l’ASFA, 80,4 % des conducteurs en mission professionnelle déclarent téléphoner au volant, 53,8 % lisent des sms reçus et 34,2 % en envoient en conduisant. Sur les trajets domicile-travail, tous ces comportements à risque sont en baisse. Dans cet autre contexte, 60,6 % des conducteurs téléphonent alors au volant, 28,6 % lisent leurs sms et 12,4 % en envoient.
L’étude Axa Prévention corrobore ces résultats. L’infraction la plus répandue est liée à l’utilisation du téléphone au volant. 80 % des conducteurs interrogés reconnaissent y avoir recours, dans le cadre de déplacements professionnels. Ils ne sont plus que 59 % à mentionner cette infraction lorsque aucune distinction n’est faite en fonction des différents types de trajets routiers concernés.
Ce phénomène confinant parfois à l’addiction au téléphone, jusqu’à ne plus voir les risques, ne concerne pas que les professionnels. Si ces derniers sont plus exposés, c’est parce que le smartphone est un outil de travail, un prolongement du bureau.
Pression accrue pour les professionnels
Le contexte professionnel peut également produire un environnement de stress et de pression, incitant les conducteurs à adopter des comportements inadaptés. Ils roulent plus vite, pour ne pas être en retard à un rendez-vous et usent du téléphone au volant pour ne pas louper un appel qu’ils jugent essentiel, même s’il n’en est rien dans la quasi-totalité des cas. Plus globalement, dans le secteur professionnel, le temps de trajet est souvent considéré comme perdu. « Il n’est même pas perçu comme un temps de travail, explique Christophe Ramond. Il y a un manque de prise en compte des trajets comme des actes professionnels. C’est un véritable problème. ». Jean-Pascal Assailly, psychologue à l’Ifsttar(2), note également que la prise de risque supplémentaire constatée avec des véhicules de fonction découle d’une déresponsabilisation du conducteur. « Si la voiture a un accrochage, c’est moins contrariant, ce n’est pas la nôtre » développe-t-il. Les risques physiques pour le conducteur restent malgré tout les mêmes.
Au volant d’une voiture de fonction, certains salariés se sentent également protégés des contraventions. Un sentiment qui pourrait s’estomper rapidement désormais, en raison de l’entrée en vigueur de la réglementation obligeant le chef d’entreprise à désigner les conducteurs en infraction.
Céline Soubranne note à ce sujet qu’il sera intéressant d’observer à nouveau les comportements, dans quelques mois, pour mesurer l’impact de cette nouvelle réglementation qui devrait réduire le sentiment d’impunité.
Entreprises prescriptrices
Face à ce constat, les acteurs de la sécurité routière estiment qu’il faut davantage mener un travail d’alerte en direction des conducteurs, dans le cadre professionnel. À ce titre, les entreprises ont un rôle à jouer. Elles doivent œuvrer pour prévenir les risques routiers. Avant même d’établir une stratégie dans ce sens, il leur faut établir un diagnostic. Un état des lieux de la pratique routière au sein de l’entreprise doit donc être réalisé, dans le cadre, en particulier, du document unique d’évaluation des risques professionnels. Il faut commencer par recenser le personnel qui effectue des trajets durant la journée de travail. Les caractéristiques de ces trajets doivent être précisées : kilométrage réalisé, durée des trajets, conditions dans lesquelles ils ont été réalisés (exemples : nocturnes ou diurnes, sur des itinéraires chargés, en zone urbaine ou en rase campagne…). Il importe également d’avoir une connaissance précise du parc de véhicules utilisé pour les déplacements professionnels. L’entreprise ne doit pas oublier de prendre en compte les déplacements domicile-travail, sur lesquels elle a aussi un effort de prévention à mener. Enfin, elle doit disposer d’un état des lieux précis de l’accidentalité chez ses employés.
Repenser l’organisation
Une fois le diagnostic établi, il s’agit d’établir une stratégie de prévention des risques. Première étape, agir sur l’organisation même du travail. Comme évoqué précédemment, dans un contexte professionnel, les conducteurs ont davantage pour mauvaise habitude de conduire en étant fatigués. L’entreprise doit réfléchir à une organisation des déplacements qui permette de limiter les kilomètres, en rationalisant les trajets. Elle peut aussi promouvoir le télétravail pour éviter un certain nombre de ces trajets. Pour tous ceux qui sont prévus, l’employeur peut, au préalable, faire en sorte d’orienter le salarié vers des itinéraires identifiés comme plus sûrs. Il peut aussi agir sur la pression subie. Celle-ci faisant partie des raisons avancées pour expliquer des écarts de conduite et des comportements à risque comme le non-respect des limitations de vitesse ou l’absence de pause durant de longs trajets. L’employeur peut réduire ce facteur en tenant compte, au moment de l’organisation de la journée, des temps de pause ou en laissant un peu de battement dans le planning pour gérer d’éventuels imprévus.
Autre levier d’action : le véhicule lui-même. Une grande attention doit être accordée à son entretien. Les équipements peuvent aussi aider à la prévention du risque routier limiteur de vitesse, assistance freinage, détecteur d’angle mort ou de somnolence sont autant d’outils, développés par les constructeurs, qui peuvent s’avérer utiles.
Pédagogie et sensibilisation
Pour lutter contre l’usage du téléphone au volant, comportement à risque le plus répandu, l’entreprise peut établir avec ses salariés des protocoles de communication qui évitent un recours systématique au téléphone pendant les temps de conduite. L’entreprise doit mener un important travail de pédagogie. Des campagnes d’information et de sensibilisation peuvent être déployées. Elles prennent la forme d’envoi d’e-mails, d’installation d’affiches, de mise à disposition de dépliants dans les espaces fréquentés par les salariés, voire de dispositifs visuels au sein même des véhicules (autocollants, par exemple). Des formations à la conduite sont aussi possibles. Pour les nouveaux arrivants, des livrets sécurité peuvent être fournis avec l’ensemble de la documentation remise les premiers jours. Autre possibilité : inciter à ne pas utiliser sa voiture. Les entreprises, dans le cadre par exemple des plans de mobilité professionnels, sont censées promouvoir des modes de déplacement alternatifs à la voiture individuelle(3). En incitant notamment leurs salariés à emprunter les transports en commun pour se rendre à un rendez-vous, elles limitent fortement le risque routier. Pour de longues distances, elles peuvent aussi prendre en charge un déplacement en train ou en avion plutôt que de demander au salarié d’effectuer un trajet aller-retour de plusieurs heures, en voiture.
Les associations de lutte pour la sécurité routière ou les assureurs proposent des outils clés en main pour accompagner les entreprises dans ces démarches de prévention du risque routier : kits de communication, conseils sur la stratégie à élaborer, séances de sensibilisation des salariés… Pour l’heure, l’implication des entreprises semble insuffisante. Encore faut-il qu’elles aient conscience du comportement de leurs salariés au volant et des risques qu’ils encourent.
Camille Selosse
« Écarts de conduite »: retrouver cet article dans le numéro 416 de la revue d’information et d’analyse de la réglementation routière :«