Sur 3 248 décès routiers relevés en 2018, seulement 4% des tués l’ont été à bord d’un véhicule âgé de moins de sept ans.
Au-delà des exigences réglementaires, les constructeurs automobiles s’appliquent à rendre leurs véhicules de plus en plus sûrs. En France, les groupes Renault et PSA ont uni leurs forces au sein d’une structure de recherche commune, le LAB. Il est à l’origine de nombreux progrès.
Comme son sigle l’indique, le Laboratoire d’accidentologie, de biomécanique et d’études du comportement humain (LAB) explore ces trois volets indispensables pour éviter des accidents ou en atténuer les conséquences. Créé en 1969, il emploie une vingtaine de chercheurs qui testent, analysent et formulent des recommandations aux constructeurs mais aussi aux pouvoirs publics.
À l’occasion de son cinquantième anniversaire, en octobre 2019, le LAB a rappelé que ses efforts n’ont pas été pour rien dans le recul observé de la mortalité routière. Depuis le pic enregistré en France en 1973, le risque d’être tué en voiture a été divisé par cinq et celui de blessures graves à mortelles a diminué de 41 % pour le conducteur et de 15 % pour le passager avant. Un bilan qui tient, en partie, à une meilleure protection des occupants en cas de choc.
« Nous travaillons sur la milliseconde car un crash dure 100 millisecondes, soit un battement de cils, pendant lesquelles le véhicule doit être capable de détecter le choc et de déclencher les dispositifs de protection », rappellent Maxime Labrousse et Stéphane Mogodin, tous deux accidentologues.
Le LAB a par exemple donné un coup de jeune à la ceinture de sécurité en y ajoutant des « limiteurs d’effort ». Pour éviter que la tension, extrême, de la sangle (jusqu’à une tonne d’effort supportées par les crêtes iliaques(1)) ne fasse des dégâts, ce dispositif la relâche légèrement. « Nous avons presque divisé par deux le risque de lésion mortelle, surtout chez les personnes âgées », expliquent les deux spécialistes. D’autant que les limiteurs d’effort sont associés à des « prétensionneurs », des dispositifs pyrotechniques qui rattrapent le jeu persistant entre la ceinture et le haut du corps afin que la sangle soit bien plaquée au moment du choc. Placés dans les boucles de ceintures sur les côtés des sièges, les premiers prétensionneurs ont réussi à effacer jusqu’à six centimètres de jeu. Grâce aux ingénieurs, une nouvelle génération, désormais logée en haut du siège, dans l’enrouleur, est capable d’en rattraper quinze centimètres.
Mannequins vedettes
Pour arriver à ces résultats, les scientifiques réalisent leurs propres expériences en laboratoire grâce à des mannequins « bio-fidèles » de plus en plus sophistiqués. Les modèles en deux dimensions, utilisés dans les années 1990 ont cédé la place à des versions en 3D. Composés de trois millions d’éléments, ces annequins modélisent avec précision l’anatomie des passagers en tenant compte de leur posture et de leur stature. « Nos mannequins sont capables de prédire les liaisons les plus fréquentes et ils nous permettent d’étudier différentes configurations telles que l’interaction entre les ceintures et les airbags », détaillent
Philippe Petit et Xavier Trosseille, experts en biomécanique. Pour affiner ses travaux, le LAB s’est doté au fil du temps d’une véritable famille de mannequins. On y trouve désormais des modèles de type féminin, de taille et de carrure plus fines. La part croissante des personnes obèses (15 % de la population) a dicté la conception d’un mannequin représentatif. Le LAB l’utilise actuellement dans un projet de recherche visant à adapter les prétensionneurs de ceintures à cette morphologie.
En complément des tests sur les mannequins, les scientifiques ont recours à d’autres moyens, depuis la simulation numérique jusqu’à l’exploitation des données d’accidents en situation réelle. Ainsi, le LAB exploite les procès-verbaux d’accident, les bilans lésionnels des hôpitaux, les relevés des forces de l’ordre, etc. Mais son atout maître est une base de données, sans équivalent, qui capitalise des observations réalisées sur 18 000 véhicules accidentés, appartenant à différentes générations.
Plus récents, plus sûrs
L’analyse de ces informations a permis au LAB d’établir un constat qui interpellera toutes les entreprises amenées à renouveler leurs véhicules : plus un modèle est de conception récente, mieux il protège ses occupants. Démonstration : sur 3 248 décès routiers relevés en 2018, 50% sont des occupants de voitures particulières et seulement 4% du total des tués l’ont été à bord d’un véhicule âgé de moins de sept ans. L’explication tient à l’amélioration de la conception des véhicules. Jusque dans les années 1990, ces derniers restaient trop « souples » pour amortir efficacement la violence des chocs. Illustration fournie par le LAB avec un crash frontal réalisé à 65 km/h contre un obstacle indéformable. À bord d’une Peugeot 206 de 1998, le conducteur s’en tire avec de multiples fractures (six côtes, le bras gauche, l’avant-bras droit et le fémur gauche). Au cours des années 2000, les constructeurs ont renforcé les habitacles mais au prix de décélérations plus difficiles à supporter par les conducteurs, notamment au niveau du thorax. Au volant cette fois-ci d’une « 207 », millésime 2005, le conducteur accidenté dans des conditions identiques est extrait avec deux vertèbres et le sternum fracturé. Il faut attendre la « 208 » de 2012 pour que le bilan s’allège : l’accidenté souffre d’une abrasion à l’épaule gauche et de contusions à l’abdomen et au genou droit. L’amélioration des ceintures et des airbags explique la disparition de toute fracture.
Faire toujours mieux
Malgré ces progrès, l’activité du LAB ne diminue pas, bien au contraire. L’arrivée des aides à la conduite (ADAS) a ouvert de nouveaux champs de recherche. Si les systèmes de contrôle de trajectoire sont désormais matures, les scientifiques travaillent à y intégrer de nouveaux scénarios, tels que les « queues de poissons ».
Ainsi, dans le cadre d’un projet européen, le LAB a analysé les réactions de 240 conducteurs (freinages, coups de volant, utilisation des pédales…) sur deux années. Il en a retiré 78 scénarios types qui ont été testés à différentes vitesses afin d’aider les constructeurs à concevoir leurs futures ADAS. Le LAB a également travaillé à perfectionner le système d’appel automatique d’urgence post-accident (eCall). La nouvelle génération, attendue pour 2022 (Advanced eCall), sera capable de renseigner les secours sur le type de collision, le nombre de passagers impliqués, ceinturés ou pas, un incendie, une immersion du véhicule, sa position (y compris son sens de circulation). Dernier chantier en date, celui du véhicule connecté, capable d’échanger des informations avec d’autres usagers pour les alerter d’un danger en amont. Une ultime étape avant la génération des futurs véhicules autonomes à la sécurité desquels le LAB entend bien contribuer dans les années à venir.
Freinage d’urgence : efficacité démontrée
Parmi les aides à la conduite automobile (ADAS), les accidentologues du LAB ont pu établir, grâce à la simulation numérique, le gain de sécurité apporté par le freinage automatique d’urgence (AEB), qui équipe les voitures les plus récentes. Ils ont simulé la présence d’une voiture au feu rouge qui voit surgir derrière elle un autre véhicule lancé à 60 km/h. Grâce à l’intervention de l’AEB, la vitesse du choc arrière est réduite de 60 à 40 km/h. Dans le même scénario, rejoué à une allure initiale conforme au Code de la route, soit 50 km/h, la vitesse résiduelle au moment de l’impact n’est plus que de 10 km/h. Autre bénéfice mis en avant par le LAB : en ville, l’AEB peut sauver la vie d’usagers vulnérables. Un véhicule équipé qui circule dans une rue à 42 km/h est capable de détecter un piéton qui surgit puis de s’immobiliser sans le heurter.
Jean-Philippe Arrouet
(1) Parties de l’os constituant la partie supérieure des os coxaux, relatifs aux hanches.
Retrouvez cet article dans le numéro 431 de la revue d’information et d’analyse de la réglementation routière : «La Prévention Routière dans l’Entreprise »