Depuis qu’il est devenu électronique, en 2006, le chronotachygraphe a simplifié le contrôle des temps de conduite.
En renseignant l’appareil sur son activité, le conducteur conserve néanmoins un rôle essentiel. En cas de négligence ou de saisie erronée, les sanctions peuvent être lourdes pour l’entreprise.
Fini les disques papier des premiers chronotachygraphes à bord des camions et des cars. Depuis 2006, tous les appareils sont électroniques. Les tout derniers, qui commencent à apparaître au compte-gouttes sur les véhicules mis à la route depuis le 15 juin 2019, sont même « intelligents ». Autrement dit, capables de géolocaliser le véhicule en temps réel et d’écrire automatiquement sur la carte du conducteur les données qui serviront au contrôle de ses temps de conduite. Cependant, avec moins de 57 000 immatriculations de véhicules lourds par an, il faudra encore longtemps avant que cet appareil ne simplifie le quotidien de tous les chauffeurs.
Lors d’une opération de sensibilisation organisée récemment par les forces de l’ordre en alternative à la sanction, aucun conducteur ne disposait du chronotachygraphe intelligent, et la plupart des questions concernait des erreurs de manipulation de l’appareil actuel. Des erreurs qui donnent souvent à leurs auteurs le sentiment d’avoir été injustement sanctionnés. À leur décharge, il n’existe aucune formation officielle à la bonne utilisation d’un chronotachygraphe. Dans les grandes entreprises, les formateurs internes se chargent d’y familiariser les nouvelles recrues. Ailleurs, dans les TPE en particulier, on se débrouille pour trouver l’information comme on peut, y compris via Internet, sur YouTube par exemple, où les tutoriels sont nombreux. Plus sérieux sont les efforts des fabricants tels que Stoneridge, qui se partage le marché français du chronotachygraphe avec VDO. Pour son modèle SE5000, l’équipementier suédois propose des modes d’emploi en ligne et surtout des simulateurs virtuels très simples. Ils permettent aux chauffeurs de s’entraîner à manipuler le « chrono » sans aucune conséquence.
Hormis ces initiatives privées, le chronotachygraphe fait l’objet d’un rappel à l’occasion de la formation continue obligatoire (FCO), que les chauffeurs suivent tous les cinq ans. De l’avis unanime des chauffeurs présents lors de l’opération d’alternative à la sanction, le sujet est abordé rapidement, sans aucun exercice de manipulation. C’est bien là que le bât blesse.
Se localiser manuellement
« Attention, ce n’est pas un appareil automatique. Il se met en position “conduite” quand le véhicule roule mais tout le reste est manuel », avertit le brigadier-chef Christophe Conan de la Compagnie territoriale de circulation et de sécurité routière du Val-de-Marne (CTCSR 94). Si le chronotachygraphe n’est pas un des derniers modèles, charge au conducteur de saisir manuellement sa destination de départ et celle d’arrivée. Et gare aux validations hâtives : si le chauffeur sélectionne « FR » comme pays de départ, il reconnaît avoir pris le volant aux îles Féroé, un archipel danois perdu dans l’Atlantique Nord. Pour un trajet dans les limites de l’Hexagone, le choix à valider est en réalité « F ». De même, il est nécessaire d’indiquer à l’appareil tout franchissement de frontière au cours du trajet. « Quand le chauffeur finit sa journée, il sort sa carte et le chronotachygraphe lui demande dans quel pays il s’est arrêté, souligne Lorin Valton, fondateur de Inodis SAS, distributeur en France de Stoneridge. Même si le conducteur laisse sa carte dans l’appareil, il faut tout de même rentrer dans un menu pour y sélectionner le pays d’arrivée. » Bien qu’il paraisse excessivement procédurier, ce fonctionnement bénéficie indirectement aux transporteurs. « Le chronotachygraphe permet de s’assurer d’une égalité des règles sociales entre les différents pays européens et de régler les problématiques de dum-ping social liées au cabotage sur le territoire hexagonal », plaide Lorin Valton. Quant à la dernière génération de chronotachygraphes, elle supprime définitivement les risques de mauvaise localisation. Les modèles « intelligents » enregistrent automatiquement des coordonnées satellites (ou « points GNSS », pour Global Navigation Satellite System) au départ, à l’arrivée, ainsi que toutes les trois heures au cours d’un trajet.
Qu’a-t-on fait avant de démarrer ?
Autre erreur courante : le conducteur ne renseigne pas correctement l’appareil sur la nature de son activité. « Le chronotachygraphe pose des questions au conducteur mais celui-ci y répond souvent en cliquant sur “OK”, à chaque fois », met en garde Christophe Conan. Une utilisation trop hâtive qui est à mettre sur le compte du manque de temps mais aussi d’une ergonomie imparfaite. Compte tenu de la petite taille de l’écran, qui impose une simplification des messages, dérouler les menus peut sembler fastidieux et les chauffeurs ont parfois hâte d’en terminer avec ces formalités. « Le chronotachygraphe demande au conducteur de renseigner les activités effectuées avant de démarrer, y compris lorsqu’elles ne sont pas de la conduite », rappelle le brigadier. Chez Stoneridge, le conducteur qui ne roule pas se voit proposer trois choix : « travail actif » (représenté sur le dispositif par une icône en forme de marteau) pour des tâches distinctes de la conduite, par exemple un déchargement, « travail passif » (symbolisé par un carré barré) qui correspond à un temps d’attente et « repos » (lit).
Reste au chauffeur à délivrer correctement ces informations. « C’est au début de sa journée de travail, et non de sa conduite, qu’il doit rentrer les informations car le chronotachygraphe ne sert pas qu’à contrôler le temps de conduite mais également le temps de travail », insiste Christophe Conan. Autrement dit, un chauffeur qui a commencé sa journée par deux heures de chargement doit les comptabiliser dans le chronotachygraphe avant de passer en « conduite ». À défaut, le contrôle de son activité par les forces de l’ordre devient impossible et la sanction encourue est une amende de cinquième classe. Quant à un chauffeur qui se mettrait en « repos » pour effectuer du travail administratif sans le renseigner comme tel sur sa carte, il exposerait son entreprise à un délit d’emploi irrégulier.
Par ailleurs, l’activité des chauffeurs est régie par deux réglementations distinctes. D’une part, la réglementation sociale européenne (RSE) qui impose une pause de 45 minutes après 4 h 30 de conduite. D’autre part, la réglementation française du travail qui prévoit 30 minutes de repos toutes les six heures. « Le chronotachygraphe ne gère que la RSE : il ne prend pas en compte ce qui est plus restrictif, comme la réglementation française », concède Lorin Valton. Autre écueil, les temps de travail et de repos à respecter ne se comptabilisent pas par journée calendaire (de 00 h à minuit) mais par période glissante de 24 heures.
Du cas par cas
Autre piège courant : les multiples cas où les transporteurs estiment, à tort, ne pas être soumis au chronotachygraphe. Exemple avec un transport scolaire par autocar. S’il s’agit d’une ligne régulière, d’une longueur inférieure à 50 km avec des arrêts réguliers, l’usage d’un chronotachygraphe n’est pas obligatoire. Il le devient lorsque le circuit dépasse 50 km, emprunte un trajet inhabituel ou encore si le même autocar sert à une visite touristique. Plus subtil encore est le cas d’un paysagiste qui transporte une tondeuse. Si cet engin sert à son activité, il est considéré comme un outil de travail et son transport n’est pas soumis au chronotachygraphe. À l’inverse, si la tondeuse est destinée à un client à qui elle a été vendue, il s’agit d’un transport à but commercial pour lequel le chronotachygraphe doit être enclenché. Autre subtilité, le cas des dépanneuses qui sont dispensées du chronotachygraphe tant qu’elles interviennent à une distance inférieure à 100 km.
Sans compter les risques d’irrégularité liés à deux autres positions prévues par le chronotachygraphe. Ainsi, « hors champ » permet de rouler avec le camion sans être soumis au contrôle du chronotachygraphe. Elle s’utilise par exemple pour des essais routiers après une réparation. À condition de ne pas tricher : rouler peu de temps, sur une distance réduite, avec une justification (par exemple un bon d’intervention que le chauffeur montrera en cas de contrôle). Même tolérance pour la position « ferry » ou « train » qui permet au chauffeur d’interrompre le décompte du temps de conduite lorsqu’il embarque sur un bateau ou un wagon. Cette position déconnectée lui permet de bouger son véhicule mais avec une amplitude limitée aux manœuvres d’embarquement et de débarquement. Autant de cas particuliers qui peuvent devenir des motifs d’infraction ou pas, selon l’analyse qu’en feront les forces de l’ordre. « Lors des contrôles, nous posons beaucoup de questions relatives à l’individu, au véhicule et au motif du déplacement, reconnaît Christophe Conan. Elles peuvent sembler intrusives mais, en réalité, elles nous permettent d’orienter nos réponses pour savoir si le conducteur est soumis à la RSE et au chronotachygraphe. »
« Bouge tes roues!»: légal mais peu favorable à la sécurité
La réglementation sociale européenne (RSE) apparaît parfois aux transporteurs comme un empêcheur de tourner en rond en imposant au chauffeur un repos de 45 minutes toutes les 4 h 30 de conduite. Cet impératif, motivé notamment par la prévention de l’hypovigilance, ne fait pas toujours l’affaire des autocaristes. Contrairement aux transporteurs de marchandises, ces professionnels peuvent difficilement imposer à leurs clients une immobilisation forcée, sans autre finalité qu’attendre que le chauffeur se repose. À moins d’employer deux chauffeurs, ce qui n’est pas rentable sur de courtes distances. Or, en région parisienne, les 4 h 30 sont rapidement dépassées sur certains circuits. Une situation que connaissent bien les cars Lécuyer, basés à Brou, en Eure-et-Loir, lorsqu’ils emmènent des touristes aux environs de Paris. « Quand nous conduisons des clients au Parc Astérix en semaine, c’est un problème à cause des embouteillages », peste le patron, Jean-Michel Lécuyer. En bon connaisseur de la réglementation, il trouve une souplesse dans la possibilité de scinder le temps de repos réglementaire en deux séquences de 15 et de 30 minutes.
Une pratique, connue sous l’appellation « Bouge tes roues ! », consiste à démarrer le véhicule pour quelques minutes (aucun seuil minimal de conduite n’est prévu par la RSE) puis à s’arrêter pour prendre aussitôt un repos de 15 minutes. Dès lors, le chauffeur a la possibilité de conduire 4 h 30 d’affilée. À l’issue de cette période, si son trajet n’est pas terminé, il devra s’arrêter 30 minutes au lieu de 45, ce qui pénalisera moins les clients, avant de pouvoir conduire de nouveau 4 h 30. Cette pratique permet à un même chauffeur de rouler jusqu’à neuf heures avec une interruption de 30 minutes seulement. C’est légal mais peu favorable à la sécurité.
Jean-Philippe Arrouet
Retrouvez cet article dans le numéro 430 de la revue d’information et d’analyse de la réglementation routière : «La Prévention Routière dans l’Entreprise »