À l’inverse des déplacements en mission, l’employeur ne peut pas contrôler le comportement des salariés sur le trajet entre leur domicile et leur site de travail.
L’accident d’un salarié aura pourtant immanquablement des conséquences humaines et économiques pour l’entreprise. Mais les actions mises en œuvre sont-elles compatibles avec les pratiques habituelles ou occasionnelles des salariés ?
En France, sept salariés sur dix utilisent principalement leur voiture pour aller au travail (source : INSEE, en 2015).
Voilà qui impacte forcément les chiffres de l’accidentalité routière. Les accidents de trajet représentent 9 % des accidents mortels de la circulation (14 % avec les déplacements en mission) et près d’un accident mortel sur trois est lié au travail.
Risque professionnel majeur, le risque routier reste sous-estimé dans les entreprises, en particulier en ce qui concerne les trajets domicile-travail. Les accidents survenus dans ce cadre sont pourtant des accidents du travail.
En 2017, plus de 14 000 accidents de la circulation ont ainsi provoqué le décès de 346 personnes et l’hospitalisation de plus de 3 500 blessés. Pour la collectivité, le coût de cette mortalité s’élève à plus de 3,5 Md€ et six millions de journées d’arrêt de travail.
L’enquête Ifop pour l’association PSRE(1), publiée le 6 juin 2019, fait le point sur le triple enjeu – humain, économique et sociétal – de ces accidents pour les entreprises.
Des circonstances mal connues
Une majorité d’employeurs et de salariés, interrogés dans le cadre de cette enquête (2), pensent que la part des accidents de la route liés au trajet domicile-travail reste stable, ce qui se vérifie globalement depuis plusieurs années (plus de 60 000 accidents corporels, en 2017). Un employeur sur quatre pense qu’elle a plutôt baissé.
Cette méconnaissance est encore plus évidente quant au moment de la journée le plus propice aux accidents. 60 % des salariés (jusqu’à 72 % dans le secteur du BTP) et 56 % des employeurs (jusqu’à 80 % dans le secteur transport-logistique) estiment que les accidents surviennent principalement en fin de journée alors qu’ils se produisent majoritairement en début de journée.
Principale cause des accidents, pour 44 % des employeurs et 34 % des salariés, l’utilisation des technologies modernes (téléphone, GPS, etc.). Les salariés évoquent plus facilement la fatigue (45 %). On constate d’ailleurs que tous les facteurs pouvant impliquer l’organisation ou le lien du salarié avec l’entreprise (horaires, crainte des retards et autres tensions sur le lieu de travail) sont sous-évalués par les employeurs par rapport à l’avis des salariés.
À l’inverse, les employeurs citent davantage (38 %) les erreurs de conduite que les salariés (28 %).
Quant à l’impact des excès personnels sur la conduite (alcool, drogue), les deux populations se retrouvent autour d’un résultat plus proche : 9 % par les salariés, 11 % par les employeurs. Des chiffres en forte baisse par rapport à la même évaluation effectuée dix ans auparavant (respectivement 24 et 16 %).
Impact sur le fonctionnement de l’entreprise
Sept employeurs sur dix considèrent que les accidents de trajet des salariés n’ont pas d’impact sur le bon fonctionnement de leur entreprise. Les autres (29 %) évoquent des difficultés de remplacement sur les postes concernés, la prise en compte des contraintes du trajet dans les entretiens de recrutement ou l’absentéisme dû aux accidents. Cette prise de conscience de l’incidence de ces risques sur le fonctionnement de l’entreprise est aussi plus élevée parmi les employeurs du secteur du transport où elle atteint 63 %.
« Seuls 30 % des employeurs déclarent chercher à mieux cerner l’impact des trajets domicile-travail de leurs salariés. »
Au total, à peine plus de la moitié des chefs d’entreprise (53 %) considère que leur responsabilité peut être engagée dans l’hypothèse d’un accident survenu à un de leurs salariés sur le trajet. Cette prise de conscience a cependant fortement progressé depuis dix ans, dans certaines situations précises. C’est le cas lorsque le salarié a consommé de l’alcool avant de quitter son lieu de travail ; 85 % des employeurs avertis identifient cette situation comme engageant leur responsabilité. Ils étaient 67 %, en 2009. De la même manière, lorsque le salarié quitte son travail plus tard qu’à l’habitude pour rentrer chez lui, les chefs d’entreprise sont 82 % à savoir que leur responsabilité est engagée, contre 47 % dix ans plus tôt. Une forte évolution concerne une troisième situation susceptible d’engager la responsabilité de l’employeur, celle où le salarié est en conversation téléphonique avec l’entreprise sur la route de son domicile (de 23 % à 64 %, entre 2009 et 2019).
Quelles actions de prévention ?
Malgré tout, seuls 30 % des employeurs déclarent chercher à mieux cerner l’impact des trajets domicile-travail de leurs salariés (14 % seulement, selon l’avis des salariés). Les principaux moyens mis en œuvre pour mieux connaître cet impact sont la vigilance du responsable des ressources humaines face aux difficultés ressenties (retards, stress, etc.) et les échanges lors de réunions avec les instances représentatives du personnel.
De la connaissance des risques à l’application de solutions, il n’y a qu’un pas que plus d’un quart des employeurs (27 %) annoncent avoir franchi (19 % en 2009). Dans les entreprises de plus de 250 salariés, la majorité d’entre eux déclarent que le risque d’accident encouru sur leur trajet domicile-travail fait l’objet d’actions de prévention. Un bémol, seuls 11 % des salariés confirment cette implication des entreprises. Parmi ceux qui reconnaissent des actions, salariés et employeurs portent un regard très différent sur celles-ci, évoquant des mesures distinctes : principalement des informations périodiques préventives (intranet, notes et quarts d’heure internes) pour les salariés, aménagement des horaires de travail et informations en continu des conditions de circulation (météo, trafic, etc.) pour les employeurs. Ces derniers sont moins enclins à favoriser le covoiturage, améliorer les compétences de conduite ou à réduire des déplacements par la mise en place de facilités sur place.
Dans les grandes entreprises (plus de 100 salariés), la donne est différente en raison de l’obligation de définir un plan de mobilité (anciennement plan de déplacements d’entreprise), dans le cadre duquel l’employeur doit revoir la mobilité liée au travail avec l’objectif de réduire l’usage de la voiture individuelle en faveur de solutions alternatives (covoiturage, transport en commun, vélo, etc.). À peine plus d’un quart des employeurs déclarent que l’entreprise dispose d’un plan de ce type (28 %) et plus d’un tiers d’entre eux (36 %) n’ont pas prévu d’en établir un prochainement.
Trajet domicile-travail : la voiture domine toujours
Confirmant les chiffres de l’INSEE 2015, l’enquête Ifop/PSRE constate que deux salariés sur trois prennent leur voiture personnelle pour se rendre au travail. Ils étaient 69 % en 2009. Ce résultat global ne tient toutefois pas compte des fortes disparités régionales. En Île-de-France, les salariés ne sont que 34 % à utiliser leur voiture et 48 % empruntent les transports en commun, plus présents qu’en province. 20 % des salariés utilisent un mode complémentaire de transport (32 % en Île-de-France et seulement 9 % dans les Hauts-de-France), dont la voiture personnelle représente 28 %. L’agglomération parisienne influence fortement le taux important du mode complémentaire « à pied » avec 45 % des salariés, vraisemblablement nombreux à marcher entre l’arrêt du transport en commun et leur domicile ou leur lieu de travail.
« Les facteurs pouvant impliquer l’organisation ou le lien du salarié avec l’entreprise sont sous-évalués par les employeurs. »
De plus, les durées de trajet augmentent : celles de moins de 15 min ont sensiblement diminué au profit de celles de plus de 25 min (voir schéma). Ce phénomène génère une durée moyenne des trajets entre le domicile et le travail de 31 min, soit une augmentation de 6 min par rapport à la même étude dix ans auparavant. Pour expliquer ce phénomène, Jean-Claude Robert, délégué général de l’association PSRE, évoque une tendance liée à la périurbanisation : « La domiciliation des actifs s’éloigne des grandes agglomérations mais ce phénomène touche aussi les sièges et plus globalement les sites de travail, les entreprises étant regroupées dans des zones d’activité également périurbaines. » Or, l’allongement du temps de trajet n’est pas sans conséquences sur le bien-être, la fidélisation, le temps de travail effectif et les relations sociales des salariés. « L’augmentation du temps de trajet, par exemple, augmente le stress du salarié qui doit aussi prévoir un laps de temps supplémentaire pour éviter les risques de retard, ajoute Jean-Claude Robert. Et naturellement, plus le temps de transport est long, plus les écarts de conduite sont manifestes, les salariés le confirment, et plus l’exposition au risque d’accident est élevée. »
Les salariés sont pourtant disposés à changer leurs habitudes. Plus de huit sur dix préféreraient utiliser un autre mode de transport (82 %). À y regarder de plus près, c’est toutefois bien moins qu’en 2009 (93 %).
Les transports en commun ne font pas recette
Parmi les autres modes de transport envisagés, les transports en commun (TC) affichent un net recul, de 28 à 18 % en dix ans. Ils ne font pas recette dans l’agglomération parisienne où le chiffre baisse à 12 %. Il reste néanmoins plus élevé pour la tranche d’âge des 50 ans et plus (25 %).
Selon l’enquête, la principale mesure qui pourrait inciter les salariés à envisager de choisir les transports en commun serait une cadence de passage des TC plus intense (pour 27 %). Cette mesure obtient un écho favorable, en forte augmentation en dix ans (16 % en 2009). Viennent ensuite une desserte plus proche de leur domicile (22 %) ou du lieu de travail (15 %) et des tarifs moins coûteux (15 %).
Quant au vélo, électrique ou non (16 %) et au covoiturage (14 %), ces deux modes de transport, peu appréciés en Île-de-France (avec respectivement 11 et 8 % d’avis favorables), ne permettent pas d’envisager un changement de mode principal.
Pour céder à la tentation du covoiturage, près d’un salarié intéressé sur deux (47 %) souhaiterait davantage d’itinéraires adaptés au trajet entre son domicile et son site de travail, une connaissance plus précise des opportunités locales de covoiturage et une prise d’initiative de l’employeur pour contribuer à la mise en relation entre covoitureurs (3).
Stéphane Chabrier
(1) Promotion et suivi du risque routier dans l’entreprise.
(2) Enquête réalisée auprès d’un échantillon de 2 000 salariés et 400 dirigeants d’entreprise, représentatifs.
(3) Des startup comme Klaxit ou Karos proposent ces services.
Retrouvez cet article dans le numéro 427 de la revue d’information et d’analyse de la réglementation routière : «La Prévention Routière dans l’Entreprise »