« En France il y a une présomption d’imputabilité très stricte qui fait que tout accident survenant au lieu et temps du travail est présumé lié au travail et déclaré comme tel. Dans les autres pays, il faut toujours établir un lien de causalité entre le travail et le sinistre »
«Le nombre d’accidents du travail mortels signalés par les agents de contrôle de l’inspection du travail a augmenté de 39 % entre les quatre premiers mois de 2023 et de 2024 », annonce un récent article du Monde (1). En effet, de janvier à avril, 157 décès sont ainsi remontés par SUIT, le système d’information de la direction générale du travail (DGT), contre 113 sur la même période en 2023.
Mais le quotidien précise toutefois qu’« il s’agirait paradoxalement d’une bonne nouvelle, reflétant une meilleure information des inspecteurs par les employeurs » et en aucun cas du signe d’une soudaine explosion de la sinistralité au travail. En l’espèce, selon la DGT elle-même la meilleure remontée des cas d’accidents mortels auprès des inspecteurs du travail résulte d’un décret de juin 2023 qui oblige les employeurs à informer l’inspection dans les douze heures lorsqu’un salarié est victime d’un accident mortel. Résultat : « Les malaises et les décès routiers semblent arriver plus facilement aux inspecteurs », se félicite Pierre Ramain, directeur général du travail.
Cette dernière remarque oblige à rappeler combien le calcul de la sinistralité au travail dépend directement des méthodes utilisées pour recueillir et interpréter ces données. Si bien que la moindre modification des méthodes modifie sensiblement le résultat obtenu. Et cela n’est évidemment pas neutre. Raphaël Haeflinger, directeur d’Eurogip, l’organisme chargé de se pencher, pour l’Assurance maladie, sur les questions de santé au travail en Europe, le rappelait récemment « en France il y a une présomption d’imputabilité très stricte qui fait que tout accident survenant au lieu et temps du travail est présumé lié au travail et déclaré comme tel. Dans les autres pays, il faut toujours établir un lien de causalité entre le travail et le sinistre » (2).
Concrètement, cela signifie que, dans notre pays, tout décès consécutif à un infarctus ou AVC survenu sur le lieu de travail sera automatiquement considéré comme un accident du travail. Alors que, dans la plupart des autres pays européens, il ne sera considéré comme tel que s’il est établi que le décès a été causé par l’activité professionnelle. Eurogip souligne ainsi qu’en Italie, 370 décès survenus sur le lieu de travail n’ont pas été comptabilisés, en 2021, comme accidents de travail pour défaut de lien de causalité avéré !
Autant dire qu’il ne faudrait pas que l’augmentation du nombre d’accidents du travail mortels remontés aux inspecteurs serve à stigmatiser les employeurs français, ni à laisser croire que les travailleurs français seraient actuellement confrontés à une dégradation de leurs conditions de travail. Le directeur général du travail l’affirme lui-même : « Notre chiffre n’a pas de visée statistique, ce sont juste des données de pilotage de l’action des inspecteurs. Ces remontées nous permettent d’avoir une vision plus précise du contenu des accidents, pour ensuite pouvoir renforcer des mesures de prévention. »
Alors que la DGT lance une grande campagne de lutte contre les accidents mortels au travail, cette précision est bienvenue. Car de nouvelles avancées en matière de prévention des risques ne pourront être obtenues qu’en valorisant les améliorations résultant des efforts accomplis depuis des décennies. Dans une conjoncture économique très difficile pour de nombreuses entreprises, les employeurs français ne doivent surtout pas être stigmatisés mais encouragés et soutenus !
- Le Monde, 20/06/24.
- (2) Travail & Sécurité, n° 858, avril 2024.