De nombreux décès pourraient être évités si les travailleurs victimes de malaises étaient secourus plus rapidement.

Le dernier rapport annuel de l’Assurance maladie – risques professionnels révèle que plus de la moitié (57 %) des 759 accidents mortels recensés en 2023 ont été consécutifs à un malaise. C’est l’occasion de revenir sur les malaises mortels au travail auxquels l’INRS a récemment consacré une étude afin de mieux cerner les moyens à mettre en œuvre pour les éviter.

“En France, plus de la moitié des accidents de travail mortels reconnus dans les entreprises relevant du régime général de la Sécurité sociale sont des malaises sans cause externe identifiée (chute, choc, intoxication ou électrocution…)”, relève l’INRS.
C’est pourquoi les experts de l’institut ont lancé une étude visant à “mieux qualifier ces malaises mortels et identifier leurs causes pour mieux les prévenir.” À cette fin, ils se sont plongés dans la base de données EPICEA, décrivant plus de 26000 accidents du travail, afin de disséquer les quelque 143 malaises mortels survenus entre 2012 et 2022.

Portrait-robot des victimes de malaises mortels

Cette étude a tout d’abord permis de dresser un portrait-robot de la victime d’un malaise mortel en milieu professionnel. Dans près de 94 % des cas, il s’agit d’un homme. “L’âge médian de survenue du décès est de 51 ans. Parmi les tranches d’âge les plus concernées, on retrouve notamment les 40-49 ans et les 50-59 ans”, précisent aussi les auteurs de l’étude. Toutefois, la victime la plus jeune avait 24 ans et la plus âgée 71 ans.
Si ces malaises sont susceptibles de se produire dans tous les secteurs d’activité, trois métiers semblent particulièrement concernés : les conducteurs de poids lourds et de camions, qui totalisent près de 20 % des cas, les professionnels qualifiés du bâtiment (gros œuvre) et les électriciens du bâtiment.

Des circonstances d’une grande banalité

Le second enseignement de l’étude porte sur les circonstances dans lesquelles se sont produits ces drames. Dans l’immense majorité des cas les victimes ne faisaient rien d’exceptionnel. Un nombre significatif de malaises intervient même alors que le travailleur était au repos (mais les experts se demandent si ce repos ne résultait pas des premiers symptômes ressentis, tous les malaises n’étant pas foudroyants).
Reste que “l’activité exercée par le travailleur au moment du malaise est qualifiée d’habituelle dans plus de 82 % des cas.” Autre fait notable : dans 3 cas sur 4, la victime était seule au moment des faits. Cela semble suggérer que l’absence de secours rapide contribue à l’issue fatale des malaises.

Des causes sanitaires et professionnelles

Le fait que les travailleurs effectuaient des tâches habituelles lors de leur malaise induit que leur prévention doit viser à agir, très en amont du malaise, sur la survenue des maladies coronariennes responsables des infarctus. Ces maladies résultent pour une grande part de facteurs de risque individuels : tabagisme, hypercholestérolémie, hypertension artérielle, diabète, obésité…
Toutefois, ces fragilités individuelles peuvent évidemment se combiner avec des facteurs de risques professionnels sur lesquels l’entreprise peut agir. Les experts de l’INRS citent notamment les risques psychosociaux (RPS), les horaires atypiques, les postures sédentaires, les ambiances thermiques extrêmes, le bruit et les rayonnements ionisants. Autant de facteurs qui doivent faire l’objet d’une évaluation (formalisée dans le document unique de l’entreprise) et bien sûr de mesures de prévention.
Mais il n’est bien sûr pas interdit aux entreprises d’en faire un peu plus, par exemple en favorisant l’adoption, par leurs salariés, d’un mode de vie plus sain ou encore la pratique d’une activité physique régulière.
Dans le 4e Plan Santé au Travail (PST), les entreprises sont incitées à promouvoir et faciliter la pratique du sport par leurs employés.


Récit d’un malaise mortel au travail

« Un chauffeur poids lourds de 38 ans est embauché dans l’entreprise depuis un peu plus d’un an […]. L’objet de la mission du jour est d’emporter un chargement de déchets bois à la déchetterie. Un protocole de sécurité entre l’employeur et la déchetterie a été rédigé en début d’année. Le chargement de la remorque a été préparé la veille par des collègues. Le conducteur, démarrant la journée à 5 heures, a effectué le trajet d’environ 1h30 avec une arrivée vers 6h34 sur le site de livraison. Après un échange avec l’agent d’accueil, le conducteur procède au vidage de son camion à partir de 6h36. À la fin du déchargement, il passe le balai pour enlever les derniers morceaux de bois et la poussière de la remorque. À 6h57, d’autres chauffeurs le découvrent allongé sur le tas de bois. Immédiatement, la responsable de site est prévenue.
Aucun des trois sauveteurs secouristes du travail n’est présent sur le site à cet horaire. Un défibrillateur automatisé externe (DAE) a été installé sur le site un mois auparavant mais personne ne sait s’en servir.
À 6h59, les pompiers sont appelés et arrivent à 7h13. Le SAMU interviendra également mais en vain. La victime est déclarée décédée. Une vidéo montre que le conducteur n’a pas chuté depuis la remorque. La veille, le conducteur avait travaillé 11 heures et avait fini à 17 heures. Il avait ensuite dormi dans son camion. »

Source : récit extrait de la base de données EPICEA décrivant plus de 26000 accidents du travail : www.inrs.fr/publications/bdd/epicea


Des actions pour mieux prévenir le risque de malaise mortel au travail

Agir sur les facteurs de risques professionnels associés aux maladies coronariennes. Les malaises mortels au travail ont majoritairement des causes cardiovasculaires. Les experts préconisent de bien évaluer et prévenir les facteurs de risque favorisant ces pathologies : horaires atypiques, stress et risques psychosociaux, ambiances thermiques extrêmes, bruit, exposition à certains produits chimiques… Ils recommandent aussi de prendre des mesures permettant de lutter contre la sédentarité.

Améliorer l’organisation des secours dans l’entreprise. De nombreux décès pourraient être évités si les travailleurs victimes de malaises étaient secourus plus rapidement. Les experts recommandent ainsi de disposer de salariés certifiés sauveteurs secouristes du travail sachant comment réagir (alerte rapide des secours…) et dispenser les gestes de premier secours (massage cardiaque…). Ils insistent aussi sur la mise à disposition de matériels de premier secours (défibrillateur automatisé externe…) dans chaque site de l’entreprise et de former les salariés à leur utilisation. Enfin, ils rappellent la nécessité de limiter au maximum le travail isolé.

Assurer le suivi individuel de l’état de santé des travailleurs. Outre la vérification du suivi des salariés par les services de prévention et de santé au travail, les experts recommandent de mettre à profit la visite de mi-carrière pour évaluer le risque cardiovasculaire du salarié et le retentissement des contraintes professionnelles auxquelles il est, ou a été, exposé. Afin de lutter contre ces pathologies, ils suggèrent aussi aux entreprises de favoriser la pratique du sport par leurs salariés. Les personnes ayant un niveau d’activité physique important ont un risque de mort subite deux fois moins important que celles ayant un niveau d’activité physique faible !


La présence salvatrice de salariés certifiés sauveteurs secouristes du travail (SST).

Les récits de malaises mortels consignés dans la base EPICEA révèlent que “le délai entre les premiers signes de malaise et la survenue du décès est, dans la majorité des cas, de l’ordre de quelques minutes ou dizaines de minutes”, si bien que dans plus de 83 % des cas, les victimes sont décédées sur leur lieu de travail. Cette observation démontre combien il est crucial, pour sauver des vies, de disposer, sur les lieux de travail, de salariés ayant bénéficié de formation de sauveteurs secouristes du travail, capables d’intervenir efficacement dans un délai très bref.
“Dans plusieurs cas, relatent les experts de l’INRS. les collègues des victimes n’ont pas su reconnaître la gravité du malaise (exemple : la victime est considérée comme en train de dormir alors qu’elle ne respire plus), ou ont conseillé au travailleur de se reposer dans un lieu isolé sans surveillance, ou n’ont pas su réagir lorsqu’il était inanimé (exemple : courir vers une entreprise voisine pour chercher de l’aide au lieu d’appeler les secours par téléphone)”. Autant d’erreurs que n’auraient effectivement pas commises des salariés formés au sauvetage secourisme du travail.

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(1) “Malaises mortels au travail. Apports de la base EPICEA”, in Références en santé au travail, n° 180, décembre 2024, consultable sur www.inrs.fr.
(2) Voir “Travaillez et bougez ! Le sport au service de la santé au travail”, dossier du magazine Prevenscope n° 457, juillet-août 2024.