Emmanuel Pochet : “La réduction de la pénibilité permet d’éviter non seulement le déclenchement de maladies professionnelles mais aussi d’obtenir une nouvelle attitude, plus impliquée et positive, sur le travail.”

Emmanuel Pochet est gérant de Point Org Sécurité, société spécialisée dans l’accompagnement des entreprises en matière de prévention des risques et formateur en évaluation des risques professionnels. Fort de son expérience, il estime que la hausse de l’absentéisme ne constitue nullement une fatalité.

Certains commentateurs attribuent la hausse actuelle de l’absentéisme au désengagement des salariés. Partagez-vous cet avis ?

Nos contemporains ont effectivement un rapport au travail différent de celui des générations précédentes. L’IFOP a mesuré qu’en 2022, 84 % des salariés considèrent toujours que leur travail est « important » dans leur vie. En revanche, la part de ceux qui estiment que le travail est « très important » ne cesse de baisser depuis 30 ans. Elle s’établit aujourd’hui à 21 %, contre 24 % en 2021 et 60 % en 1990. Ajoutons que cette relative distanciation à l’égard du travail concerne presque toutes les catégories de travailleurs, aussi bien les hommes que les femmes, les jeunes que les moins jeunes.
Mais, à mon avis, il y a surtout un changement dans les attentes à l’égard du travail. Jusque dans les années 1990, le travail occupait une place prépondérante dans nos existences : on le voyait comme un moyen de gagner sa vie mais aussi comme le principal critère de réussite tout court. Désormais, c’est moins absolu. Comme en témoigne les nouvelles exigences d’équilibre entre vie professionnelle et vie privée, nos contemporains souhaitent toujours réussir leur vie professionnelle mais pas au point d’y sacrifier les autres aspects de leur vie et encore moins d’y laisser leur santé. Le travail a aujourd’hui une dimension moins sacrificielle que par le passé. Comme l’exprime fort bien une expression populaire, nos contemporains ne veulent pas « se tuer au travail ». Et ils souhaitent bien plus qu’auparavant s’y sentir bien. Peu importe le jugement que l’on porte sur cette évolution car elle s’impose à tous, si bien que les entreprises vont devoir composer avec ces aspirations.

Est-ce à dire que le haut niveau actuel d’absentéisme est une fatalité ?

Certainement pas, car les entreprises disposent de nombreux leviers pour y remédier.
Rappelons tout d’abord que les accidents du travail et les maladies professionnelles représentent tout de même un gros quart des indemnités journalières versées pour des absences liées à l’état de santé, hors maternité. Agir de façon déterminée en faveur de la santé et la sécurité des travailleurs reste donc, pour les employeurs, le plus sûr moyen d’agir sur l’absentéisme.
Enfin, au-delà de l’évaluation et de la prévention des risques, aussi bien physiques que psychologiques, il est nécessaire que l’entreprise s’engage dans une démarche d’amélioration de la qualité de vie et des conditions de travail (QVCT) en s’attaquant aux facteurs de pénibilité et en adoptant une organisation du travail répondant le mieux possible aux aspirations et aux contraintes de chacun. Il est ainsi avéré que les entreprises qui adoptent, autant que possible, une organisation et des horaires de travail permettant à leurs salariés d’articuler au mieux leur vie professionnelle avec leur vie privée parviennent à réduire leur absentéisme et leur turnover. De même, la réduction de la pénibilité permet non seulement d’éviter l’apparition de maladies professionnelles mais aussi d’obtenir une nouvelle attitude, plus impliquée et positive, sur le travail. De récents sondages réalisés par l’IFOP ont ainsi souligné que plus les travailleurs exerçaient un métier exposé à la pénibilité plus ils étaient opposés au recul de l’âge de la retraite et plus ils avaient tendance à démissionner dans l’espoir de trouver un nouveau travail moins éprouvant. Dans un contexte de hausse de l’absentéisme et de pénurie de main-d’œuvre, l’amélioration des conditions de travail représente donc un puissant levier de performance à ne pas délaisser.