“Les notifications, sur le bureau ou les smartphones, participent à l’hyper-réactivité. Les conséquences sont multiples : baisse de la qualité conversationnelle, sentiment d’urgence permanent générant stress et anxiété.

Les salariés français enverraient en moyenne 38 courriels par semaine, et en recevraient 144. C’est l’un de enseignements de l’étude menée sur 9000 salariés par l’Observatoire de l’infobésité et de la collaboration numérique (OICN). Mais les managers et les dirigeants seraient beaucoup plus sollicités et affectés par l’infobésité, cet excès d’information qui, sur fond d’essor des technologies numériques, menace la santé des travailleurs et la performance des organisations.

En moyenne, tout va bien ! Les salariés français envoient ou reçoivent 182 courriels par semaine. Selon l’Observatoire de l’infobésité, c’est très raisonnable, même si cela correspond quand même, pour une semaine de 35 heures, à un courriel traité presque toutes les 11 minutes !

Excès de courriels : managers et dirigeants en première ligne

En revanche, s’agissant des managers et des dirigeants, la situation est beaucoup plus préoccupante. Un manager enverrait en moyenne 47 courriels par semaine, et en recevrait 194. Un dirigeant d’entreprise serait, lui, à l’origine de 78 mails hebdomadaires et en trouverait 331 à traiter dans sa boîte mail sur la même période… Une quantité évidemment impossible à absorber et constitutive de ce que l’Observatoire appelle l’infobésité ou surcharge informationnelle.
En effet, comment parvenir à travailler correctement lorsque l’on est ainsi constamment sollicité et interrompu ? L’Observatoire a calculé qu’il ne reste en moyenne aux managers français que 11 heures par semaine durant lesquelles leur concentration n’est pas affectée par le traitement de courriels.

Impact négatif sur la santé et la performance

Un tel volume de courriels a bien sûr des effets néfastes sur la santé psychologique des collaborateurs de l’entreprise. « Le volume de courriels envoyés peut générer une incapacité à réaliser le travail prescrit. Il devient un facteur de stress et d’épuisement qu’il faut suivre. On parle alors de pénibilité numérique », mettent en garde les experts de l’Observatoire.
De surcroît cette prolifération des courriels nuit à l’efficacité de l’organisation et même à la bonne communication. L’Observatoire a ainsi établi que seuls 16 % des courriels reçus font l’objet d’une réponse, que 5 % sont transférés, que 15 % ont davantage de spectateurs (fonction « Cc ») que d’acteurs et que 2 % sont carrément des « courriels parapluie » ayant plus de 5 personnes en copie pour une seule personne en destinataire principal. En outre, 25 % des courriels générés sont la conséquence du « Répondre à tous » dans les conversations de 3 personnes et plus. Un tel excès dans le recours aux courriels est constitutif de ce que les auteurs appellent un « bruit numérique », aussi peu efficace que le brouhaha qui parfois recouvre les conversations dans les salles de réunion…

L’essor des outils collaboratifs

De surcroît, les courriels ne représentent évidemment pas le seul moyen utilisé par les collaborateurs pour s’échanger des informations. Ainsi, la bonne vieille réunion physique fait de la résistance : en moyenne, le temps passé chaque semaine en réunion s’élève à 2h47 pour les collaborateurs, 6h00 pour les managers et 12h12 pour les dirigeants.
Toutes fonctions confondues, le temps passé en réunion a toutefois baissé de 8 % en moyenne. Mais cette évolution s’explique probablement par l’essor des outils numériques collaboratifs qui permettent d’échanger et de se réunir à distance. Désormais, les salariés français passent, en moyenne 4h16 en visio par semaine. Mais ici aussi les disparités sont fortes selon le niveau de responsabilité. Les collaborateurs
y consacrent 2h28, contre 7h27 pour les managers et 13h12 pour les dirigeants.
Le seul outil moins utilisé par les dirigeants que par les autres catégories de travailleurs est la messagerie instantanée. En moyenne, les collaborateurs échangent 90 messages tchat par semaine contre 109 pour les managers et seulement 43 pour les dirigeants.

 Trop haut niveau d’hyperconnexion

La prolifération des outils numériques et leur mauvais usage génèrent évidemment des risques pour la santé des travailleurs. L’Observatoire souligne que “la disparition des temps déconnectés de repos quotidiens, de repos hebdomadaires ainsi que de congés détériore la santé mentale des salariés” et déplore que ce facteur de risques psychosociaux soit “encore trop sous-estimé y compris par les salariés eux-mêmes”. Aujourd’hui, 31 % des salariés français sont concernés par une exposition élevée (50 à 150 soirées connectées pour raison professionnelle par an) ou critique (plus de 150 soirées par an) à l’hyperconnexion. On reste toutefois loin d’un véritable respect du droit à la déconnexion instauré par la loi en 2017, les plus touchés étant, sans surprise, les dirigeants d’entreprise qui, en moyenne, se reconnectent 117 soirées par an.

 Promouvoir un bon usage des outils numériques

Pour les membres de l’Observatoire, il ne s’agit évidemment pas de rejeter les outils numériques mais simplement d’en promouvoir un usage plus raisonné et raisonnable.
L’exemple du courriel est, à cet égard éloquent. “Le courriel expliquent-ils, a été pensé comme un moyen de communication asynchrone. Dans les usages, il est en réalité devenu un outil de conversations instantanées. Les notifications, sur le bureau ou les smartphones, participent à cette hyperréactivité. Les conséquences sont multiples : augmentation du bruit numérique lié aux croisements des réponses, baisse de la qualité conversationnelle, sentiment d’urgence permanent générant stress et anxiété.”

Des risques à évaluer et prévenir

Une chose est sûre : la banalisation des différents outils de communication numériques nécessite d’évaluer et de prévenir les risques qu’ils engendrent tant pour la santé des salariés que pour le bon fonctionnement de l’entreprise.

(1) “Infobésité et Collaboration numérique. Référentiel annuel 2023”, rapport consultable sur www.infobesite.org.