“La crise sanitaire est associée à une dégradation de l’état de santé perçue des travailleurs. Ils sont 30 % à déclarer un état de santé altéré en janvier 2021, contre 25 % en 2019.

Au niveau de la santé psychique, la dégradation est encore plus forte : 23 % des salariés ont un score WHO 5 associé à un risque élevé de dépression, contre 10 % en 2019.”

La crise sanitaire et les mesures prises pour endiguer de la pandémie de Covid-19 ont provoqué d‘importants changements dans le monde du travail. Comment ont-ils affecté les conditions de travail ? Et Quelles ont été leurs conséquences sur l’état de santé psychique et physique des travailleurs ? La vaste enquête TraCov, réalisée au premier trimestre 2021 auprès de 17 216 actifs en emploi permet de répondre à ces questions (1). Les données recueillies soulignent l’extrême diversité des situations vécues, notamment selon le secteur d’activité et le type de fonction occupée. Elles confirment aussi le rôle crucial joué par la prévention des risques pour atténuer l’impact de la crise sur la santé des travailleurs et le fonctionnement des entreprises.

1 – Un profond bouleversement du monde du travail

L’enquête rappelle d’abord que la crise sanitaire a considérable­ment bousculé les habitudes de travail les mieux établies : “Cer­tains secteurs ont connu des fermetures administratives ou une activi­té fortement réduite ; d’autres, au contraire, ont fait face à un surcroît d’activité. Les pratiques ont évolué et les formes d’organisation du travail ont été modifiées pour s’adapter à ce contexte. Le recours au télétravail, permettant une continuité de l’activité, s’est massivement diffusé et des mesures limitant les risques de contagion au travail ont été instaurées lorsque la nature du travail le permettait”, notent les auteurs. Ces bouleversements ont considérablement rebattu la carte des risques professionnels, obligeant les employeurs à mettre à jour leur Document unique (DUER). Ils laissent aussi présager une pérennisation de nouveaux modes d’organisation porteurs de risques spécifiques, comme le télétravail.

2 – Un monde du travail divisé en quatre groupes

Afin de prendre en compte la diversité des situations, l’étude propose une typologie répartissant les actifs en quatre groupes selon l’impact de la crise sanitaire sur leurs conditions de travail.

Groupe “peu d’impact”. Quelque 54 % des travailleurs appar­tiennent à ce groupe caractérisé par une relative stabilité des conditions de travail par rapport à l’avant-crise sanitaire. “Les ouvriers, et dans une moindre mesure les agriculteurs et les employés, sont davantage présents dans ce groupe que dans le reste de la popu­lation. Ces actifs travaillent davantage dans les secteurs de l’agriculture, de l’industrie et de la construction : l’activité y est plus stable et le télétravail un peu moins répandu.” Le seul point noir notable pour cette catégorie de travailleurs découle des conséquences écono­miques de la crise : 19 % d’entre eux font part d’une accentuation de l’insécurité de l’emploi.

Groupe “intensification”. 32 % des travailleurs appartiennent à ce groupe caractérisé par des conditions de travail en partie dégradées par rapport à l’avant crise sanitaire”, notamment par une intensification du travail (+ 33 %) et une hausse des exi­gences émotionnelles (+ 40 %). Sans surprise, les personnes tra­vaillant dans le secteur de la santé humaine et de l’action sociale (établissements hospitaliers et structures médicales, Ephad etc.), ainsi que dans l’enseignement et le commerce de détail sont sur­représentées dans ce groupe. Ce groupe est en effet celui qui a été le plus confronté “à l’afflux de patients contaminés et/ou aux réorganisations des structures pour protéger des occupants fragiles, ou encore à la nécessité d’accueillir élèves, étudiants ou clients en respec­tant les protocoles sanitaires”. En revanche, ce groupe se caracté­rise, simultanément, par un sentiment accru de sens au travail, qui a augmenté pour 23 % de ses membres.

Groupe “dégradation”. Dans ce groupe, comptant 11 % des travailleurs, les conditions de travail se sont dégradées avec, notamment, une hausse sensible des risques psychosociaux. Le secteur de l’enseignement et certains secteurs des services comme les activités bancaires et d’assurances sont particulière­ment concernés. En termes de catégories socio-professionnelles, “les cadres et professions intermédiaires y sont également nombreux, au contraire des employés, des ouvriers, des artisans, commerçants et chefs d’entreprise”. Ce groupe se distingue par une surcharge de travail par rapport à l’avant-crise. “Près de la moitié de ses membres déclare travailler plus longtemps, et près d’un sur trois indique travailler plus souvent le soir, la nuit ou très tôt le matin.”

Groupe “accalmie”. Pour ce groupe rassemblant 4 % des tra­vailleurs, la crise a été marquée par un fort ralentissement, voire par un arrêt partiel de l’activité. Les salariés des établissements culturels recevant du public ou ceux de la restauration sont em­blématiques de cette catégorie qui a vu une baisse substantielle de sa charge de travail aussi bien en durée qu’en intensité. En revanche, revers de la médaille, ils éprouvent une insécurité de l’emploi beaucoup plus vive, en hausse de 35 %.

3 – Le rôle déterminant des mesures d’adaptation et de prévention

L’enquête met aussi en relief d’importance des mesures de pré­vention des risques. Elle souligne ainsi la forte corrélation entre l’insécurité sanitaire et la dégradation des conditions de travail. Si 22 % des travailleurs du groupe “peu d’impact” déclarent avoir davantage “peur d’être contaminé par le Covid-19 dans l’exercice du travail (y compris trajets) qu’en dehors du travail”, cette pro­portion s’élève à 44 % pour le groupe “intensification” et jusqu’à 55 % pour le groupe “dégradation”. De même, il n’est pas neutre que les travailleurs se déclarant peu impactés par la crise sanitaire, aient bénéficié “d’une adaptation plutôt réussie de l’organisation du travail au contexte sanitaire et donc de moindres risques psychosociaux au travail par rapport aux autres personnes en emploi”. La crise a ainsi démontré la contribution déterminante de la prévention des risques professionnels au bon fonctionnement des entreprises.

4 – Le télétravail contraint associé à une dégradation des conditions de travail

Le groupe des travailleurs ayant vécu une dégradation de ses conditions de travail se signale par une très forte représentation des télétravailleurs (41 % contre 30 % en moyenne). Or, les diffi­cultés que décrivent ses membres sont précisément celles géné­ralement associées à un télétravail mal maîtrisé. “Dans ce groupe, les transformations entraînées par la crise ont conduit à entraver l’exer­cice du travail, du fait de problèmes de coopération au sein du collectif, de difficultés à maîtriser les outils numériques ou de qualité empêchée. La moitié des individus de ce groupe déclarent recevoir moins d’aide de leur supérieur ou collègues qu’avant la crise. Les trois quarts de ceux qui utilisent des outils numériques rencontrent des difficultés avec leur usage. Beaucoup font état d’une moins bonne adaptation des moyens disponibles pour effectuer correctement leur travail (matériels, logiciels, information, formation, espace de travail, etc.)”, écrivent les auteurs du rapport. Alors que nombre d’entreprises prévoient de péren­niser le télétravail pour nombre de leurs membres, ces données incitent à ne pas négliger les risques que comportent ce mode d’organisation pour la santé des salariés et la performance de l’entreprise (2). n

(1) Dares Analyses, n° 28, mai 2021. (2) Une prestation “Assistance télétravail” a été spécialement élaborée en ce sens par le cabinet Impact Prévention (www.impactprevention.fr) à destination des TPE et PME.