Après 20 ans de baisse, le nombre d’accidents du travail mortel stagne dans notre pays

Les derniers chiffres d’Eurostat sur la sinistralité au travail sont cruels pour la France. Selon cette direction générale de la Commission européenne chargée de la statistique, nous ferions en effet beaucoup moins bien que nos partenaires européens.

La France mauvaise élève de l’UE ?

Pour les accidents du travail non mortels, la France arriverait en queue de peloton, avec 3 364 accidents pour 100 000 salariés, tandis qu’avec 674 décès au travail recensés en 2021, elle enregistrerait un taux de 3,3 accidents du travail mortels pour 100 000 employés, très supérieur à la moyenne européenne (1,76)… Ces chiffres semblent ainsi donner raison à la Confédération européenne des syndicats qui, en 2022, accusait la France d’être le mauvais élève de l’Europe en matière de santé et sécurité au travail. Mais ce classement reflète-t-il vraiment la réalité ? Pour en avoir le cœur net, le magazine Travail & Sécurité a interrogé Raphaël Haeflinger, directeur d’Eurogip, l’organisme chargé de se pencher, pour l’Assurance maladie, sur les questions de santé au travail en Europe (1). Or, pour cet expert, les statistiques d’Eurostat sont biaisées par la diversité des systèmes de déclaration et de reconnaissance des accidents selon les pays. “En France, souligne-t-il, il y a une présomption d’imputabilité très stricte qui fait que tout accident survenant au lieu et temps du travail est présumé lié au travail et déclaré comme tel. Dans les autres pays, il faut toujours établir un lien de causalité entre le travail et le sinistre.”
De même, alors qu’en France, le salarié est indemnisé dès 1 % d’invalidité, ce n’est le cas qu’à partir de 30 % en Allemagne ou 33 % en Espagne, ce qui incite moins à déclarer les accidents en deçà de ce seuil.
Et ce biais existe aussi pour la recension des accidents mortels. Chez nous, tout décès survenu sur le lieu de travail est comptabilisé comme accident du travail, si bien que les statistiques françaises englobent automatiquement les infarctus et AVC survenus sur le lieu de travail. Or, ce n’est pas le cas chez nombre de nos partenaires européens qui exigent, eux, que soit établi un lien de causalité entre le décès et le travail. Eurogip souligne ainsi qu’en Italie, 370 décès ont été rejetés, en 2021, pour défaut de lien de causalité !
Ce n’est pas tout : pour être comptabilisé comme un accident du travail, le décès doit avoir lieu le jour même de l’accident aux Pays-Bas, ou dans les trente jours en Allemagne… alors qu’en France, il n’existe pas de délais officiels au-delà duquel il ne sera plus comptabilisé comme accident du travail. Tout cela a évidemment un impact très négatif sur les statistiques françaises…

Des marges de progrès à exploiter

Est-ce à dire que tout irait alors pour le mieux en France et qu’il n’y aurait plus qu’à s’autocongratuler ? Tel n’est bien sûr pas l’avis du directeur d’Eurogip qui souligne qu’après 20 ans de baisse, le nombre d’accidents du travail mortel stagne hélas dans notre pays. Or, comme le démontre la radiographie des pratiques de prévention récemment publiée par le Ministère du travail, des marges de progrès existent encore. Nul doute que les employeurs français auront à cœur de les exploiter. Car s’ils ne méritent pas du tout le bonnet d’âne dont certains voudraient les affubler, ils n’ont pas pour autant l’intention de se reposer sur leurs lauriers !

(1) Travail & Sécurité, n°858, avril 2024.